«Jeux de mains, jeux de vilains», disaient jadis les maîtresses d’école sur les préaux agités. La gifle assénée à Macron par un ultradroitiste illustre l’obsession du quart d’heure de célébrité associée à la destruction du langage. De la langue de bois à la langue de poing.
Tout d’abord, ce n’est pas aujourd’hui que la violence s’est installée en politique. Elle est même consubstantielle à la notion de pouvoir qui, en lui-même, est une source de violence à divers degrés. Douce contrainte plus ou moins librement consentie dans le meilleur des cas. Tyrannie brutale dans le pire. Que les médiacrates tombent de leur chaise en apprenant l’épisode de la gifle relève donc du numéro de clown maladroit.
De l’assassinat du Pharaon Téti en 2291 avant Jésus-Christ à celui de João Bernardo Vieira, président de la Guinée-Bissau en 2009, la liste des régicides ou des «présidenticides» est longue. On tue un homme gênant et un symbole honni. Classique.
Tout sauf un «fait isolé»
La baffe présidentielle est d’un autre ordre, moins dramatique dans ses conséquences directes sur la victime mais tout aussi inquiétant sur un plan plus général.
Loin d’être «un fait isolé» comme l’affirment «les éléments de langage» servis par la communication présidentielle, la gifle macronienne n’est que le pic éminent d’une série d’agressions contre toute personne incarnant une forme de pouvoir, d’influence réelle et/ou symbolique, voire une forme de supériorité culturelle, du moins perçue comme telles: sapeurs-pompiers caillassés, policiers agressés, juges menacés, politiciens de tous nouveaux vilipendés, cabinets médicaux vandalisés, professeurs molestés. Cela va de la bousculade de conseillers municipaux à la gorge tranchée de l’enseignant Samuel Paty.
Le Graal du quart d’heure de célébrité
La consécration par les médias est devenue l’objet de toutes les convoitises. C’est par elle que passe la reconnaissance sociale. Malheureusement, tout un chacun ne saurait obtenir son quart d’heure de célébrité sur simple réquisition. Par essence, le vedettariat est contraire aux principes d’égalité.
Dès lors, celles et ceux qui parviennent à s’extirper de la masse sont perçus comme des traîtres ayant échappé à leur condition d’anonyme par des procédés forcément louches.
Le gifleur de Macron a fait d’une baffe deux coups : il rabaisse un homme qui monopolise l’attention médiatique de façon continue ; lui-même décroche son quart d’heure de célébrité. Et le voici star de la fachosphère. Cela vaut bien, au maximum, trois ans de prison et 45000 francs d’amende, non ?
La méthodique destruction du langage
Outre l’hystérisation du quart d’heure de célébrité, la gifle nous renvoie aussi à la méthodique destruction du langage.
Les communicants et leurs clients politiciens ont vidé toute substance de la parole politique pour la remplir de stéréotypes qui ne sont plus des idées mais des « éléments de langage » adaptables à toutes les opinions et à toutes les situations.
A l’époque où il était encore correspondant permanent à Paris, pour gagner du temps, Le Plouc écrivait parfois à l’avance le résumé des discours de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Une fois ces interventions prononcées, il suffisait d’ajouter quelques phrases ici ou là. Et encore, pas toujours ! Pratique pour le journaliste, certes. Mais une telle prévisibilité traduit un vide abyssal de la pensée politique qui ne peut qu’angoisser les citoyens.
Cela dit, cette destruction ne ronge pas seulement la parole politique. C’est toute la langue qui est mise à mal par la déstructuration de l’orthographe et de la syntaxe, l’indigence du vocabulaire, la dégradation du français dans un anglais misérable. Au profit du marketing consumériste qui veut former des producteurs-consommateurs et non citoyens qui réfléchissent.
Car c’est avec les mots que l’on construit sa pensée et avec la syntaxe qu’on la cimente. Sans mot, pas de pensée. Si l’on ne peut plus joindre la parole et la pensée à l’acte, c’est alors l’acte seul qui s’exprime.
Jean-Noël Cuénod
PS: Concernant le gifleur et son copain, on peut lire ce blogue
Bravo pour l’ensemble. Qu’il est agréable de lire ce que l’on pense, écrit par quelqu’un d’autre ! Juste une petite nuance : je pense que c’est la pensée qui créé le langage et que réciproquement la confusion du langage induit la confusion de la pensée, d’où la destruction que vous évoquez. Cordialement. André Vigne.
« Car c’est avec les mots que l’on construit sa pensée et avec la syntaxe qu’on la cimente. Sans mot, pas de pensée. Si l’on ne peut plus joindre la parole et la pensée à l’acte, c’est alors l’acte seul qui s’exprime » tout est dit dans cette dernière phrase. Sais-tu qu’en hébreu « muet » et « violence » ont la même racine ?
Je ne le savais pas. Mais voilà qui est très parlant, si j’ose dire! Merci de ce prolongement qui nous ouvre bien des pistes-