La Chambre Constitutionnelle de la Cour de Justice genevoise a annulé l’interdiction faite aux députés du Grand Conseil et aux conseillers municipaux de porter des signes religieux. Les magistrats et les fonctionnaires y restent soumis. D’autres dispositions de la Loi sur la Laïcité de l’Etat sont avalisées par la justice.
La Loi cantonale sur la laïcité de L’Etat a été adoptée par le peuple genevois en février dernier. Aussitôt, trois recours devant la Chambre constitutionnelle ont été déposés contre certains de ses articles par les Verts, le Réseau évangélique, des citoyens proches de l’Union des organisations musulmanes de Genève et de la Ligue musulmane genevoise pour la paix confessionnelle.
Les juges viennent de rendre leur décision. La plus importante se rapporte à l’interdiction de porter des signes religieux pour les élus aux Grand et conseils municipaux du canton, interdiction signifiée par l’article 3 alinéa 4 de la Loi sur la Laïcité de l’Etat (LLE). Cette disposition est annulée. Ces élus pourront donc porter croix, kippa ou voile en séance plénière.
Les arguments des juges
En revanche, les fonctionnaires et les magistrats ne sont pas concernés par cet arrêt. Ils restent donc soumis à l’interdiction de signaler leur appartenance religieuse.Voici l’argument principal des juges pour justifier l’annulation de cet article :
S’agissant de l’art. 3 al. 4 LLE, bien que sa portée soit limitée aux signes extérieurs lors de séances plénières et de représentations officielles, il n’apparaît ni apte ni nécessaire à atteindre le but d’intérêt public poursuivi. En effet, en tant que membres d’un organe législatif de milice, les parlementaires n’ont pas vocation à représenter l’État, mais la société et son pluralisme, qu’ils incarnent. Imposer aux organes législatifs une totale neutralité confessionnelle met au surplus à mal le principe démocratique, qui impose aux cantons de se doter notamment d’un parlement élu au suffrage universel, les membres du parlement – qui ne sont en Suisse pas des professionnels – étant censés représenter différents courants d’opinions, y compris religieuses. L’art. 3 al. 4 LLE revient en outre, dans les faits, à créer une règle d’incompatibilité confessionnelle prohibée, en empêchant les personnes manifestant leur appartenance religieuse d’accéder à un mandat électif, alors que la laïcité ne se présente plus comme une condition d’accès à ces fonctions.
Le Groupe de travail sur la laïcité (GTL) que j’ai présidé n’avait expressément pas retenu cette interdiction étendue aux élus dans le rapport qu’il a rédigé au Conseil d’Etat. D’ailleurs, elle ne figurait pas dans le projet de loi gouvernemental inspiré par ce rapport. Ce n’est qu’en fin d’examen au Grand Conseil qu’elle avait été ajoutée par un amendement.
Même arguments au Groupe de travail sur la laïcité
Les arguments évoqués lors des discussions du GTL étaient de même nature que ceux retenus par les juges constitutionnels. A savoir qu’un fonctionnaire et un magistrat représentent l’Etat dans ses actes d’autorité et qu’à ce titre ils doivent afficher leur neutralité politique et religieuse ; ils sont au service de l’Etat laïc et doivent conformer leurs attitudes et leurs propos à ce statut.
Tel n’est pas le cas d’un député et d’un conseiller municipal ; ils ne représentent pas l’Etat mais le peuple dans toutes ses diversités. Exiger d’eux quelque neutralité que ce soit n’a aucun sens. Ils sont élus sur des listes politiques et doivent faire connaître ce qui les distingue les uns des autres.
Cet alinéa 4 de l’article 3 n’a fait que provoquer une grande confusion dans les rôles que les uns et les autres doivent occuper au sein de la société genevoise. En ce sens, il a nui à la Loi sur la laïcité de l’Etat. Par conséquent, loin d’être attaquée par cet arrêt, la LLE en sort renforcée car épurée d’une disposition excessive et déséquilibrée qui n’entrait nullement dans les vues de celles et de ceux qui ont travaillé à son élaboration.
Les juges constitutionnels ont remis la non-Eglise laïque au milieu de notre village plurigaulois. A eux merci.
Jean-Noël Cuénod
- : Dans un prochain article, nous examinerons les autres décisions de la Chambre constitutionnelle concernant la LEE