Laïcité à multiples vitesses

La laïcité doit-elle être considérée comme un mètre de couturier? Placarder une affiche de concert pour les chrétiens d’Orient relève-t-il du crime de lèse-République? Deux récentes affaires survenues en France démontrent à quel point la laïcité est trop souvent mal comprise par celles et ceux qui sont chargés d’en appliquer les règles.

Plusieurs collégiennes et lycéennes de religion musulmane ont été interdites de cours en France parce que la jupe qu’elles portaient était trop longue pour être honnête laïquement. Le Conseil contre l’islamophobie en France a recensé 130 cas de ce genre en 2014, sans que ce chiffre soit confirmé par une autre source. Cette longueur suspecte est considérée comme relevant du «port ostensible d’un signe religieux», interdit dans les établissements scolaires publics. A noter que cette prescription concerne principalement le port du foulard islamique. Or, les collégiennes et les lycéennes en question avaient ôté le leur en entrant au collège et assistaient donc tête nue aux cours.

A Paris, c’est une affiche dans les couloirs de métro qui a fait crépiter les réseaux sociaux. La RATP – régie des transports publics parisiens – avait interdit un panneau publicitaire en faveur d’un spectacle car il y était mentionné «Concert pour les chrétiens d’Orient» (photo). Cette inscription, pourtant bien anodine, était considérée par la RATP comme une atteinte intolérable à la laïcité. Finalement, devant le concert de… protestations et après s’être fait botter les fesses métaphoriquement par un tweet du premier ministre Valls, la direction des transports a dû revenir sur son interdiction.

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En multipliant ce genre d’interdiction ridicule, ces fonctionnaires zélés, croyant servir la laïcité, la caricature en la transformant en usine à interdits ubuesques. En quoi la longueur d’une jupe relève-t-elle du prosélytisme religieux ? A combien de centimètres au-dessus de la cheville doit-elle être considérée comme laïquement correct? Un centimètre? Deux ? Quatre? Cinq et demi?

En quoi une mention «pour les chrétiens d’Orient» dans le couloir d’un métro lèse-t-elle la neutralité confessionnelle de l’Etat? C’est un élément d’information, c’est tout. Qui ne provoquera pas des vagues de conversions en faveur des Eglises maronites, orthodoxes ou syro-chaldéennes.

Ah, c’est le mot «chrétien» qui gêne, voyez-vous! Aurait-on usé du vocable «juif», «musulman», «bouddhiste», «hindouiste» que la décision de la RATP aurait été différente? La RATP nous ferait un complexe parce que la religion chrétienne est majoritaire dans nos pays? Dans cet esprit, elle devrait alors accueillir avec bienveillance la pub des Adorateurs de l’Oignon.

Pourtant, l’Etat français lui-même donne de larges coups de canif aux principes de la laïcité. Ainsi, subventionne-t-il massivement les écoles privées dont 90% sont d’obédience catholique. De même, pour des raisons historiques, la France salarie les prêtres, rabbins et pasteurs en Alsace-Moselle.

D’une part, l’Etat français se montre d’une laïcité vétilleuse et punitive pour des broutilles. D’autre part, il l’oublie en abordant des domaines aussi essentiels que l’enseignement. Dans les deux cas, c’est l’incohérence qui sévit et les ennemis de la laïcité qui ricanent.

 Jean-Noël Cuénod 

Le Plouc est invité à l’émission de Laurent Caspary, «Tribu», sur les ondes de la RTS, lundi, de 11h. à 11h.30 à propos de son dernier livre «Ne retouche pas à mon dieu – Un bilan de la laïcité».

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