Dimanche 10 février prochain, les citoyennes et les citoyens genevois diront si la
République et canton doit ou non se doter d’une loi sur la laïcité. Je me permets d’intervenir dans ce débat en tant qu’ancien président du Groupe de Travail sur la laïcité.
« La laïcité n’est pas une opinion parmi d’autres mais la liberté d’en avoir une. Elle n’est pas une conviction mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect de l’ordre public ».Cette définition classique de la laïcité situe parfaitement l’enjeu de la votation du 10 février : le peuple genevois veut-il adopter une loi qui protège la liberté de conscience, la liberté de croire en Dieu, dans les Dieux ou de ne croire ni à l’un ni aux autres et qui fixe les règles dans les relations entre l’Etat et les organisations religieuses ?
«Personne ne veut attaquer la liberté de conscience dans notre paisible République et canton» ronronneront certains. Aujourd’hui, peut-être. Mais demain ? Une loi n’est pas faite uniquement pour répondre aux urgences. Elle vise aussi – et surtout – à organiser demain. N’oublions pas que cette liberté de conscience à laquelle nous autres Genevois sommes tant attachés est aussi fragile que la démocratie. Elle n’est pas inscrite de toute éternité dans les gènes d’un pays. Il s’agit de la fortifier afin qu’elle puisse résister aux tempêtes de l’avenir.
Est-elle vraiment nécessaire, cette loi? Elle se révèle indispensable. Dans la mesure où le principe de la laïcité est inscrit dans la Constitution genevoise depuis le 1erjuin 2013, il était impensable qu’il ne soit pas rendu vivant par l’apport d’une loi. Un principe constitutionnel qui n’aurait pas sa traduction dans un texte législatif serait aussi dépourvu de réalité qu’un ectoplasme embrumant les discours officiels.
L’absence de base légale d’un article constitutionnel ouvre la porte à tous les arbitraires dans la mesure où l’on peut lui faire dire n’importe quoi, par malveillance ou par maladresse. L’un des exemples les plus criants de la nécessité d’une loi sur la laïcité nous a été apporté par un épisode resté dans toutes les mémoires.
En 2015, des écoliers genevois de 5 à 7 ans devaient chanter dans l’opéra de Benjamin Britten, L’Arche de Noé. Mais la Direction de l’enseignement obligatoire, organe du Département de l’Instruction publique, fit couler ce projet, dans un premier temps. Une juriste avait estimé que cette participation écolière violait le principe constitutionnel de laïcité, compte tenu de la référence biblique de l’œuvre! Dans mon blogue, j’avais alors écrit qu’à ce compte-là, il fallait interdire de chanter le « Cé qu’è lainô » dans les écoles genevoises, formule reprise ensuite par la conseillère d’Etat chargée du Département de l’Instruction publique. Celle-ci, en effet, a annulé cette interdiction et profité de l’occasion pour remettre les pendules laïques à l’heure dans son ministère.
Si la laïcité avait été encadrée, explicitée, mise sur rails par une loi, il est évident que la Direction en question n’aurait pas pu donner au principe constitutionnel une extension aussi aberrante.
Telle qu’elle est rédigée, la loi sur la laïcité permet de parer à ce genre de risques. Certains critiqueront tel ou tel détail de ce texte. Mais qu’ils ne jettent pas le bébé laïque avec l’eau de son bain. Il est toujours possible de modifier une loi. Il se révèle beaucoup plus ardu, et surtout plus arbitraire, d’appliquer un article constitutionnel en l’absence de texte législatif.
C’est l’ensemble de ce projet qu’il faut considérer. Il donnera aux organisations religieuses qui respectent l’ordre démocratique suisse les moyens de vivre de façon autonome, sans être contraint de demander des fonds à des organismes étrangers, grâce à l’instauration de la contribution religieuse volontaire, service payant pour ces communautés confessionnelles. Il définira clairement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui comme le démontre l’épisode de L’Arche de Noé, la notion de neutralité de l’Etat ainsi que la présence des organisations religieuses sur le domaine public dont les prescriptions actuelles sont trop datées. Ce texte éclaircit non seulement les missions des aumôneries au sein des hôpitaux publics, des établissements médico-sociaux et des lieux de privation de liberté, mais elle les élargit en prévoyant la possibilité d’un accompagnement d’ordre philosophique en plus des accompagnements d’ordre religieux.
Cette loi ne s’attaque à aucune religion. Au contraire, elle permet la libre expression des croyances dans le cadre de l’ordre démocratique suisse. Mais elle garantit aussi la libre expression des incroyances.
Sous prétexte que l’alinéa 2 de l’article 7 du projet de loi stipule que le visage doit être visible dans les administrations, établissements publics et tribunaux, d’aucuns prétendent qu’il s’agit d’une intolérable atteinte à l’islam. Or, tel n’est pas le cas si l’on se réfère à l’avis d’un imam diffusé par l’un des plus importants sites musulmans français (https://www.doctrine-malikite.fr): «Aucun verset du Coran, ni texte de la sunna n’existe qui oblige le Niqâb (voile intégral) à la femme musulmane».
De même, si le projet de loi demande aux magistrats exécutifs et judiciaires, aux fonctionnaires et aux élus de s’abstenir «de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs», cela ne s’adresse pas qu’aux musulmans mais aux fidèles de toutes religions. Le but ainsi visé est de ne pas troubler par le port de symboles l’indispensable neutralité confessionnelle de l’Etat.
La laïcité est avant tout un état d’esprit qui tend à mettre la tolérance en actes.
Jean-Noël Cuénod,
ancien président du Groupe de Travail Laïcité auprès du Conseil d’Etat
Si tous les journalistes professaient la même pondération il s’en seraient pas pris pour cible – ce que je déplore .
J’ai toujours plaisir à vous lire
Isabelle