Covid-19 est-il un seigneur de la guerre ?

covid-19-coronavirus-police-guerreCovid-19… c’est vrai que son nom de code sonne assez roman d’espionnage, entre James Bond 007 et OSS 117. Sommes-nous pour autant en guerre ? Au sommet de l’Elysée, personne n’en doute puisque le président Macron l’a martelé à six reprises mardi dernier : « C’est la guerre !». Formule-choc pour nous persuader de rester confinés. Mais on n’utilise pas impunément le vocabulaire guerrier.Evidemment, la formule que n’a pas dite, du moins sous cette forme, Albert Camus surgit illico à l’esprit : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde[1]. » Pour inauthentique qu’elle soit, la maxime frappe fort et sonne vrai.

On comprend qu’Emmanuel Macron, devant l’inobservation des mesures de prudence par un grand nombre de ses administrés, a voulu secouer nos puces. Et quoi de pire, donc quoi de mieux, pour nous faire réagir que de dégainer ce mot qui fait trembler chacun : guerre !

Si l’avantage de cette formule en terme de mobilisation semble à première vue évident, elle recèle toutefois de nombreux périls.

Elle introduit une notion de violence qui, se propageant dans nos esprits angoissés, risque de les amener à prendre le voisin pour un agent de la Cinquième Colonne du général Coronavirus. Le quidam qui promène son chien devient un traître, de même que le type qui va courir autour de pâté de maison ou de la mère de famille qui rentre de commission. Et c’est en frôlant les murs que le client en panne de baguette se dirige vers sa boulangerie.

Attention aux « coronacorbeaux » !

Météo idéale pour que croissent les « corbeaux ». Or, ces périodes où règne la délation sont mortifères pour une nation. Le passé l’a bien démontré. Le film d’Henri-Georges Clouzot « Le Corbeau », sorti en 1943, garde toute son actualité. Les haines provoquées par les délations anonymes ou non font encore sentir leurs effets après plusieurs décennies.

Ce climat de guerre, cette ambiance de suspicion, peuvent provoquer des désordres au sein de populations qui n’avaient pas l’habitude de s’y adonner. Or, les forces de l’ordre n’ont vraiment pas besoin de cela, elles sont fort occupées ailleurs.

Dans la nuit de mercredi à jeudi, elles ont eu bien du mal à intervenir à la suite de feux boutés sur des véhicules à Aulnay-sous-Bois (lire ici). Le confinement ne fait pas l’affaire des dealers et l’atteinte ainsi portée à l’économie délinquante ne fera que croître au fil des semaines, voire mois, avec toutes les explosions sociales qui en résulteront.

En outre, les premières applications du confinement suscitent parfois des incompréhensions telle l’amende de 135 euros infligées à ce cycliste qui allait acheter du pain ; il était pourtant porteur de la fameuse attestation de sortie (lire ici). Sans doute, des situations de ce genre surgiront-elles, provoquant une accumulation de petits ruisseaux de révolte.

Dès lors, l’emploi intempestif du mot « guerre » crée un bruit de fond belliqueux à un moment où nous avons un urgent besoin de concorde. Les mots sont porteurs, eux aussi, de maux. N’ajoutons rien au malheur du monde.

Jean-Noël Cuénod

[1] Le véritable propos émis par Albert Camus se rapporte à la critique du livre de Brice Parain, Recherches sur la nature et la fonction du langage, critique publiée dans la revue de Pierre Seghers Poésie 44. Voici donc ce que Camus a vraiment écrit : L’idée profonde de Parain est une idée d’honnêteté ; la critique du langage ne peut éluder ce fait que nos paroles nous engagent et que nous devons leur être fidèles. Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. Et justement la grande misère humaine qui a longtemps poursuivi Parain et qui lui a inspiré des accents si émouvants, c’est le mensonge.

 

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