Contre le coronavirus, France et Suisse divergent

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Alain Berset, conseiller fédéral chargé de l’Intérieur (Keystone)

Le coronavirus affiche-t-il le même la même trogne couronnée en France et en Suisse ? On pourrait en douter tant les mesures prises par les deux pays diffèrent. Le ministre suisse de l’Intérieur, le socialiste Alain Berset, a même brocardé Macron, sans le nommer. Pourquoi cette divergence? Essayons de réfléchir sans chauvinisme de part et d’autre.En guise de préambule, cette petite remarque d’un Helvète vivant en France. Si l’on consulte la plupart des médias hexagonaux, la Suisse n’existe pas. Un trou noir ou blanc au centre de l’Europe. Alors que la Belgique, autre voisin francophone, est abondamment citée. Sans doute, faut-il y voir l’effet d’une vieille culture monarchique et catholique commune, culture que la Suisse plurireligieuse et foncièrement républicaine serait bien incapable de partager.

573 kilomètres de frontière

Alors juste pour mes amis Français, ces données de base pour comprendre qu’il y a tout de même quelques rapports entre les deux pays : troisième PIB mondial, membre de l’Espace Schengen, la Confédération partage avec l’Hexagone 573 kilomètres de frontière, embauche chaque jour quelque 180 000 frontaliers français (leur première destination avant le Luxembourg et l’Allemagne), comprend quelque 190 000 résidents Français (sans doute plus si l’on envisage les Suisses qui sont double-nationaux sans le savoir) ; en outre, la Suisse est le neuvième partenaire commercial de la France. Cela étant dit, revenons à nos moutons coronavirés.

A l’image de l’Italie, la France a ordonné le confinement général de sa population avec la possibilité de se dérouiller les jambes – mais pas plus loin que deux kilomètres à partir de son domicile – et de faire ses courses alimentaires ou pharmaceutiques, à la condition de montrer aux gendarmes et policiers la désormais célébrissime attestation émise par le ministère de l’Intérieur.

En Suisse, point de confinement

La Suisse adopte la plupart des mesures prises par ses voisins, sauf sur un point important : pas de confinement général. Vendredi, le conseiller fédéral (ministre) chargé de l’Intérieur, Alain Berset a annoncé que les rassemblements de plus de cinq personnes sont désormais interdits. Les contrevenants devront payer de 100 à 10 000 francs (de 95 à 9 500 euros). En revanche, aucune mesure de confinement n’a été ordonnée.

«Il ne sert à rien d’édicter un confinement s’il ne recueille pas l’adhésion des gens » a déclaré le ministre fédéral socialiste qui mise sur le légendaire pragmatisme helvétique: «Nous avons besoin que le commerce de détail continue à fonctionner, que les trains et les taxis continuent de transporter les gens pour aller chez le médecin, que les banques soient ouvertes, car tout le monde n’a pas des billets sous son matelas, nous avons besoin d’un plombier disponible en cas de fuite dans la cuisine».

Une pique inopportune contre Macron

Alain Berset n’a, hélas, pas réussi à tenir sa langue en lançant cette pique à l’adresse du président français Emmanuel Macron, sans le nommer mais tout le monde aura reconnu la cible :

«Nous ne faisons pas de politique-spectacle. On voit que dans d’autres pays l’adhésion à ce genre de mesures extrêmement fortes n’est pas bonne et qu’elle ne permet pas forcément de la meilleure des manières de freiner la propagation du virus. Penser qu’on peut tout décider d’en haut et que tout le monde est d’accord, cela ne fonctionne pas.»

Sur la forme, ce propos d’Alain Berset est inopportun. Il démontre à quel point les dirigeants politiques actuels éprouvent de la peine à prendre un peu de hauteur. A quoi cela sert-il de critiquer un chef d’Etat voisin en pareilles circonstances ? A rien. C’est même contreproductif. Face à ce défi historique, la Suisse aura besoin de la France et réciproquement. Inutile d’envenimer nos rapports frontaliers. A Genève, ils sont suffisamment tendus pour ne pas rajouter une louche de fiel.

Fossé au sein de l’Europe occidentale

Sur le fond, cette prise de position peut se comprendre dans la mesure où les mesures autoritaires prises en surplomb ont rarement montré leur efficacité. Mais elle illustre surtout le fossé culturel qui s’est creusé au sein de l’Europe occidentale. La Suisse n’est pas la seule à avoir renoncé au confinement, la Suède également de même queles Pays-Bas ont adopté le même point de vue. Laissons de côté la Grande-Bretagne : personne ne comprend la politique sanitaire du premier ministre Boris Johnson.

La Suisse et les Pays-Bas (1) ont pour point commun une culture de tradition protestante réformée, avec une importance particulière donnée à la liberté et à la responsabilité individuelles, une taille réduite, un minuscule marché intérieur, une forte densité, d’excellentes structures industrielles, de bonnes capacités exportatrices. Dès lors, ils craignent le coronavirus autant par l’effondrement économique qu’il risque de provoquer que par la catastrophe sanitaire qu’il recèle. Par conséquent, geler les déplacements devient une mesure aussi dangereuse que de leur laisser libre cours. D’où la préférence donnée à une position centrale.

La France et l’Italie – deux pays qui ont connu des périodes autoritaires dans leur Histoire – ont décidé le confinement général car elles ont mis l’accent sur la sauvegarde sanitaire avant toute chose, y compris l’économie.

Français et Italiens diront que les Suisses, Néerlandais et Suédois font passer l’économie, donc le fric, avant la santé. Ceux-ci leur répliqueront que tuer l’économie d’un pays ne guérit personne. Qui a tort ? Qui a raison ? Qui vivra verra !

Jean-Noël Cuénod

(1) A la suite de la critique justifiée d’un commentateur, Le Plouc a ôté la référence à la Suède qui n’est pas dans la même configuration que la Suisse ou les Pays-Bas.

3 réflexions sur « Contre le coronavirus, France et Suisse divergent »

  1. Un trou noir ou blanc au centre de l’Europe ?
    Ton explication me surprend, pour moi c’est tout simplement le fait
    de ne pas appartenir à l’Union Européenne.
    Toutes les statistiques comparatives que je vois dans les quotidiens
    espagnols mentionnent uniquement les membres de l’UE, donc la Belgique
    et pas la Suisse. Plaisir solitaire !
    (Dans les troupeaux de vaches, l’individu qui a été séparé du groupe est
    repoussé et condamné à rester dehors).

    • Dans la cas du coronavirus, l’appartenance ou non à l’UE n’est pas importante.Les données sont les mêmes. Et puis, la Suisse fait partie de l’Espace Schengen, ce qui est plus pertinent en matière de frontières. Bien à toi.

  2. Cher ami
    Il y a quelques jours, j’ai envoyé un mail à France Inter pour m’étonner que la Suisse ne soit jamais citée alors que l’Allemagne l’était abondamment au sujet des malades qui y étaient transportés et alors que les HUG avaient reçu également des malades, comme le Jura, Bale, Vaud, Zürich…
    Un autre exemple d’oubli « involontaire » qui est révélateur.
    Dans le message du Conseil fédéral qui apparaît à la TV, la dernière phrase est: Le Conseil fédéral et la Suisse compte sur vous » (de mémoire). Là est toute la différence : la culture de la responsabilité de l’individu.
    Prenez soin de vous
    Amitiés
    François

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