Trump est en train de faire sombrer les Etats-Unis dans le chaos. Il n’empêche que Calamity Donald reste le principal favori à sa succession. Malgré sa gestion calamiteuse de la crise Covid-19 et des émeutes qui ont éclaté dans tout le pays après le meurtre de Georges Floyd, dont la mort lente par asphyxie sous le genou du flic Derek Chauvin a été filmée et diffusée sur les réseaux sociaux.
Il est facile de trouver d’autres cinglés cratopathes[1], d’autres incompétents notoires qui parviennent à réunir des majorités d’électeurs. Bien sûr, dans le passé, des monstres sanguinaires ont aussi occupé les plus hautes fonctions. Mais la plupart du temps, ils n’étaient pas élus. Certes, Hitler est parvenu au pouvoir par les urnes. Toutefois, il s’est empressé de supprimer en quelques mois les institutions démocratiques et le pluripartisme. Une sorte d’hommage du vice de la dictature à la vertu de la démocratie.
Aujourd’hui, le pire peut fort bien, non seulement arriver par les urnes, mais encore s’y maintenir.
Vaste torpeur bêtifiante
Le domaine politique n’est pas le seul atteint. Il semble qu’une vaste torpeur bêtifiante et infantile embrume le monde. Un signe majeur l’illustre : les langues s’appauvrissent sans cesse pour s’affaler façon bouse de vache dans notre vie quotidienne. Ce n’est pas seulement le cas – spectaculaire, il est vrai – du français. Mes amis anglophones, germanophones et italophones dressent le même constat. Or, c’est avec les pierres des mots et le ciment de la syntaxe que l’on bâtit une pensée. Moins de mots et syntaxe fautive ont pour conséquences inéluctables, moins d’images mentales et pensées défectueuses.
Les progrès de la connaissance scientifique semblent contredire cette allégation. C’est oublier que les sciences dites « dures » reposent sur le langage mathématique qui, lui, ne s’étiole pas. Mais surtout, nous confondons deux choses qui sont pourtant bien distinctes : l’intelligence et la compétence.
Inter legere
L’intelligence, c’est, comme son étymologie latine l’indique (inter legere), la faculté de relier les choses entre elles, de les distinguer et de les discerner. Elle suppose donc forcément une vision large, décloisonnée du monde en mouvement. Elle s’exprime par un truchement de moins en moins partagé, à savoir la culture générale. En reliant entre eux les éléments et les acteurs qui le compose, on parvient à une vision plus complète, plus nuancée, plus acérée bref, plus « intelligente », du monde. Cette faculté développe aussi un sens critique d’autant plus redoutable qu’il s’établit sur des constats lucides.
La compétence représente la capacité à exceller dans un domaine d’activité précis et particulier. Souvent, le segment où s’exerce la compétence est réduit, voire très réduit. La personne compétente sait donc presque tout sur presque rien. On peut se révéler champion dans tel secteur et nullissime pour toutes les autres activités. On ne voit alors du monde qu’un petit segment de compétence, le reste se cachant sous une brume épaisse. Dès lors, comment développer son sens critique dans un tel contexte ?
La société du capitalisme financier (ou celle du communisme capitaliste sauce Pékin), comme tout système d’exploitation humaine (le communisme autoritaire de type soviétique en étant un autre encore pire) n’apprécie guère l’intelligence qui favorise la remise en question du désordre bien établi. En revanche, la compétence est hautement appréciée, encouragée, encensée puisqu’elle forme de parfaits rouages destinés à un emploi précis et qui ne cherchent pas à gripper le système.
« Journalisme » et psittacisme
Cette tendance se retrouve, entre autres, dans les nouvelles générations de journalistes. Souvent sortis des écoles spécialisées, ils semblent bien formés à la technique des médias mais à lire et à ouïr nombre d’entre eux (il existe de remarquables exceptions), la culture générale leur fait cruellement défaut, d’où cette tendance à découvrir la lune à chaque nouvelle édition. Sans mise en perspective historique, sans mise en relation entre différents événements, le « journalisme » – du moins ce qui est appelé tel aujourd’hui – n’est qu’une mauvaise manie, une forme particulièrement aliénante de psittacisme. Le journalisme n’accomplit plus sa mission première, celle d’informer correctement. Et intelligemment. Or, cette mission n’est pas seulement nécessaire, elle est indispensable à toute démocratie.
Bien entendu, le journalisme n’est pas le seul secteur touché par cette prééminence de la compétence sur l’intelligence. L’enseignement, la politique, notre société actuelle en général, sont tout aussi atteints.
Les Trumpettes, les Bolsanouilles et autres clowns au maquillage sang ne sont que les phénomènes les plus visibles d’une tendance de fond qui sape les fondements même de la démocratie, voire de la civilisation humaine ; elle ne saurait survivre sans intelligence et la somme des compétences ne pourra jamais la remplacer.
Jean-Noël Cuénod
[1] Cratopathe : malade du pouvoir (en grec, Kratos=pouvoir, Pathos= passion, souffrance,maladie)
Commentaire brillant mais en voici un autre aussi brillant mais contradictoire avec le votre Démocratie : la compétence contre l’intelligence
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/la-trumpophobie-cette-maladie-qui-empeche-de-reflechir-et-d-informer-20200528
La trumpophobie est à la portée de tous, ce n’est pas une preuve d’intelligence.
Au delà du Savoir livresque, c’est la Transmission au delà des mots qui fait défaut.
L’occident reconnait de moins en moins le fait d’étre Auto-didacte par exemple.
A contrario on maintenant avoir une Fonction d’Expert compétent sans expérience et en méme temps étres jugé par les RH Intelligent par rapport à sa réussite scolaire. il n’y a pas de compétition entre Intelligence et compétence mais uniquement la Négation du réel et du fait accompli.