Poésie: l’amour, la mort, la vie

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photographie de Brice Challame (Wikipédia)

Eros, Thanatos, deux faces du même miroir qui reflète la jouissance et l’angoisse, la fusion et la déchirure, diastole et systole du coeur de l’Univers. Deux ouvrages de la poétesse et éditrice genevoise Huguette Junod illustrent ce flux-reflux où le sperme et les larmes font fleuve commun vers notre Mer d’où tout provient et vers qui tout revient.

Leurs titres: Au mont-de-Vénus (1) et Mon frère Icare Ma sœur Ophélie (2). Aucune pudeur hypocritement voilée par les persiennes des symboles. C’est la vie crue qui jaillit, la vie qui bat et rebat nos cartes sans crier gare, la vie à mordre jusqu’au sang, celle que la poète met en jeu, avec ses doubles et ses troubles, son zénith et son nadir, ses jouissances et ses détresses.

Au mont-de-Vénus est un chant des corps dans la plénitude solaire de la jouissance.

Mon frère Icare Ma sœur Ophélie ranime la mémoire du frère d’Huguette Junod, tué à 17 ans dans un accident de la route, et celle de sa sœur, qui s’est jetée du pont Butin à Genève à l’âge de 35 ans et dont le corps a été retrouvé dans le Rhône un an plus tard.

De propos délibérés ou non – peu importe – les deux livres se répondent.

Pénétrer
la fleur noire
de mes rêves
(« Au mont-de-Vénus »)

Pénétrer
la fleur bleue
de ces eaux
(« Mon frère Icare Ma sœur Ophélie »)

Ton fleuve
a traversé mon corps (« 
Au mont-de-Vénus »)

Le fleuve détourné
a traversé ton corps (« 
Mon frère Icare Ma sœur Ophélie »)

J’ai envie de boire à ta source
de me remplir de ton goût de genièvre
de coriandre et de cumin
(« Au mont-de-Vénus »)

Le rubis du vin
le saphir de ton regard
pour une autre ivresse (
« Mon frère Icare Ma sœur Ophélie »).

Ma chair est devenue creuset
pour transporter le feu (« 
Au mont-de-Vénus »)

A ton insu
on glissa le feu dans tes mains
car tu devais le transporter
dans l’autre monde
(« Mon frère Icare Ma sœur Ophélie »).

Dans les vallées du temps, résonne l’écho de l’amour, de la mort, indissociables, insécables plutôt. La vie demeure, si l’on parvient à ne pas la retenir lorsque le moment est venu:

Tu as aimé le fleuve
il t’a gardée en lui.
Ne te retourne pas
les dieux ont retenu ma main («
Mon frère Icare Ma sœur Ophélie »).

Dans le jeu de l’amour, la rupture transforme la déchirure en espérance:

Je restituerai
des paillettes de nuit
des zébrures obscures
Et je te ferai passer à travers le temps
jusqu’à la lumière retrouvée
jusqu’à la lumière éternelle.(« 
Au mont-de-Vénus »).

Un éclair d’orgasme nous propulse hors du temps et de l’espace, dans cet état décrit par André Breton (Second manifeste du surréalisme) où cessent d’être perçues contradictoirement, la mort et la vie.

Jean-Noël Cuénod

(1) Editions des Sables, Collection « Rose des Sables », Genève, 2022.

(2) Editions Encre Fraîche, Genève, 2021.

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