49.3: Le Gaulois récalcitrant plus bête que le terne Helvète?

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Manifestation spontanée dans les rues de Paris, après l’annonce du 49.3 par Elisabeth Borne, le première ministre, sur le projet de loi de la réforme des retraites ©LP/Olivier Corsan

Pour leurs propres dirigeants, les Français constituent une énigme. La tête ne reconnaitrait donc pas son corps. Un corps d’animal sauvage affligé d’un curieux gène, celui de la grogne sociale. Le psychodrame de la réforme des retraites vient de rajouter une louche de fiel dans cet intradivorce. Avec cette question : le « Gaulois récalcitrant » est-il plus bête que le « terne Helvète » (1)?

Lors d’une interview menée par notre excellent confrère Richard Werly pour le Blick Romand, la pétulante Roselyne Bachelot – ministre multitâche durant les présidences Chirac, Sarkozy et Macron – a illustré de façon fort éloquente l’état d’esprit de cette tête qui contemple en surplomb ce corps récalcitrant à l’incompréhensible démarche.

Taraudés par l’égalité

A propos de la succession de manifs contre la réforme des retraites qui a drainé des millions de Français, l’ancienne ministre lâche ce long soupir:

Que voulez-vous faire puisquune partie de la population, taraudée par son aspiration à l’égalité, ne regarde pas les réalités en face? Que faire dans un pays où une grande partie des manifestants sont employés ou retraités de la fonction publique, ce qui veut dire quils jouissent dun statut bien plus favorable que la moyenne des actifs?

De nombreux instituts de sondage tombent d’accord pour estimer qu’environ 70% des personnes interrogées rejettent cette réforme. La contestation déborde donc largement la seule fonction publique. Et Madame Bachelot doit sans doute songer aux hauts fonctionnaires et non aux modestes salariés de l’Etat, notamment dans l’enseignement ou les services de soins, dont les salaires et les pensions demeurent minces, notamment en regard avec l’inflation galopante.

Un état d’esprit méprisant

Surtout, il y a cette « aspiration à l’égalité » qui tarauderait les Français, qui les empêcherait de voir la réalité en face.

C’est ce genre d’état d’esprit méprisant qui rend le citoyen fou de rage et le pousse à voter Le Pen ou, dans une moindre mesure, Mélenchon:

« Ainsi, un ministre connaîtrait mieux que moi ma réalité, celle que j’affronte chaque matin en me levant! Je serais incapable de savoir où est mon bien sans la tutelle condescendante de celles et ceux qui nous gouvernent. Nous sommes priés de la boucler quand causent les Grands Sachems Sachants. »

La tête sait. Le corps doit suivre puisque, le pauvre, il est incapable de comprendre les rouages complexes de la décision.

La démocratie directe ce n’est vraiment pas sa came

Personne ne s’étonne lorsque la ministre lâche à Blick romand: « La démocratie directe à la Suisse, ce n’est pas ma came. Pas du tout! » Sans doute pour ne point heurter les lecteurs helvètes, elle consent à faire montre d’un peu de Suisse dans ses idées, en espérant davantage de pouvoir pour les régions. Mais pour les sujets vraiment importants, la tête ne saurait faire confiance au corps:

Il y a des questionnements complexes qui ne peuvent pas être résolus par un référendum et la retraite en fait partie.

Ah bon? Mais alors, nous autres électeurs suisses, qu’avons-nous voté dimanche 25 septembre dernier? Il faudrait avertir Madame l’ancienne ministre – avec tous les ménagements pour qu’elle ne tombe pas de sa chaise – que le sujet de la votation n’était autre que la réforme de la retraite et que ce sujet est désormais derrière nous, alors qu’il va empoisonner la France pendant des années.

Le « Gaulois récalcitrant », selon la formule de Macron,  serait-il plus bête que le « terne Helvète » ?

La forme a-t-elle plombé le fond?

Si 70% des Français s’opposent à la réforme, ils sont encore plus nombreux à la juger inéluctable. Alors, il est légitime de se poser cette question: la contestation des Français ne viendrait-elle pas aussi – et peut-être surtout – de la façon arrogante, brouillonne et autoritaire dont le président Macron a voulu imposer sa réforme? En l’occurrence, la forme n’a-t-elle pas plombé le fond?

Macron n’a cessé de se contredire. En 2019 encore, il avait publiquement déclaré que l’âge de départ à la retraite ne reculerait pas au-delà de 62 ans et qu’il serait même « hypocrite » de le faire. Et voilà qu’en moins de trois ans, d’ « hypocrite » qu’elle était, cette mesure est devenue « indispensable »!

Le gouvernement a suivi allègrement cette course au rétropédalage, ne cessant, à son tour de dire une chose, puis son contraire, rognant ici, ajoutant là pour complaire aux parlementaires de la droite LR. Il en résulte, un texte législatif incompréhensible.

La tête dévisse!

Il n’est donc pas étonnant que le corps français juge que sa tête dévisse. Heureusement, la guillotine est bien rangée dans les caves des musées…

Dans nombre de pays européens, les systèmes des retraites ont été élaborés après la Seconde Guerre mondiale. La société d’aujourd’hui n’est plus la même, à commencer par l’espérance de vie qui, en Europe du moins, a pris l’ascenseur. De moins en moins de contributeurs doivent assumer de plus en plus de pensionnés. Dès lors, la plupart des pays européens ont fait oeuvre de réforme.

La France échappe d’autant moins à cette nécessité que nombre de ses travailleurs commencent leur carrière tard et la quitte tôt, par rapport aux pays voisins.

Les Français sont parfaitement capables de comprendre cet enjeu, mais à la condition de les associer aux débats plutôt que d’imposer par le haut une réforme rendue illisible par les arguments contradictoires qui lui servent d’emballage.

Pour filer la métaphore à la Ponson du Terrail, plutôt que de maltraiter son corps, la tête française ferait mieux de se prendre en main!

Jean-Noël Cuénod

(1) Dans la galerie des lieux (vieux?) communs, l’Helvète est toujours terne, comme l’économiste est distingué, l’expert, compétent, le professeur, émérite et, bien sûr, le Gaulois, récalcitrant.

Cet article est paru vendredi 17 mars 2023 sur le magazine numérique BON POUR LA TÊTE-Média Indocile

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