Macron me fait penser à ma grand-mère catholique

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Giuseppe Molteni (1838), La Confession, Fondazione Cariplo à Milan

Je ne sais pas pourquoi… Mais Emmanuel Macron me fait penser à ma grand-mère catholique. Piètre figure de style ! En fait, je sais très bien pourquoi le président de la République française me rappelle mon aïeule apostolique et romaine. Et je me propose de vous narrer la chose.

Dans la configuration familiale du petit Plouc en herbe, sa grand-mère maternelle était cet ilot calotin, délicieusement savoyard et exotiquement monarchiste au milieu d’un océan parpaillot résolument helvétique et farouchement républicain.

Cette drôle et tendre vieille dame était inconsolable d’avoir perdu le Royaume de Piémont-Sardaigne, apanage des Ducs de Savoie. Ses parents n’avaient d’ailleurs pas supporté l’annexion de leur Savoie par la France de Napoléon III en 1860. De dépit, ils s’étaient fixés à Carouge, ancien chef-lieu sarde devenu Suisse en 1816. Ces fidèles catholiques devinrent ainsi citoyens du canton de Genève et de la Rome protestante. De toute évidence l’implacable logique géographique l’avait emporté haut la main sur la pesante orthodoxie théologique.

Situation originale aussi que celle des Carougeois qui démontraient qu’avant même que l’on songeât à inventer la téléportation quantique, on pouvait passer de la Sardaigne à la Suisse en restant le cul posé sur sa chaise.

Etranges mœurs confessantes

« Tout cela ne nous dit pas pourquoi votre grand-mère catholique vous fait penser à Emmanuel Macron » gronderez-vous. Et vous aurez raison de me morigéner.

Or donc, lorsque je passais mes vacances chez ma grand-mère maternelle, il m’est arrivé de l’accompagner dans la petite église catholique de Corsier – commune genevoise mais d’origine savoyarde – où elle allait régulièrement « à confesse » comme elle le disait.

Sagement assis sur un banc en balançant mes jambes dans la fraîcheur des vieilles pierres, je me demandais ce que pouvait bien chuchoter ma grand-maman dans cette espèce de vieille cabine téléphonique séparée en deux par un grillage qu’on appelait « confessionnal ». Mœurs étranges dans un mobilier vermoulu…

Sitôt sortie de cette boîte à secrets intimes, ma grand-mère m’emportait d’un air tout guilleret sous les saluts du vieux curé débonnaire et toujours un peu pompette. La première fois que j’avais assisté à cette scène intrigante, je lui avais demandé en quoi consistait cette « confession », d’où ce dialogue :

– Eh bien, vois-tu, on confie à Monsieur le Curé tous ses péchés pour qu’il donne l’absolution. Ça veut dire que Dieu nous pardonne. Et nous voilà tout propre, lavé de tous nos péchés, comme si on sortait de la baignoire.
– Et après, que se passe-t-il ?
– Que se passe-t-il ? Que veux-tu…On recommence à faire des péchés. Et on revient se confesser pour se nettoyer à nouveau.

Comment devenir un névrosé chronique

A la table paternelle, je mettais cette confession multilavage sur la nappe un jour où j’avais commis un nombre particulièrement élevé de sottises :

 – Dis papa, je pourrais me confesser un jour ?
La réponse tomba comme la lame d’une guillotine :
– Non, car tu es protestant. Les protestants ne se confessent pas à leur pasteur qui de toute façon n’est pas en mesure de leur pardonner quoi que ce soit.
– Mais alors à qui je dois dire toutes mes fautes ?
– Au Christ. Seulement à Lui.
– Mais comment il me parle, le Christ ?
– Tu as bien une petite voix qui te cause à l’intérieur de toi ?
– Oui, bien sûr…
– Eh bien c’est ta conscience. Tes péchés, c’est une affaire entre le Christ et ta conscience. Ecoute-là et c’est tout.
L’ennui, c’est que ma conscience était beaucoup plus sévère qu’un vieux curé gentiment ivrogne. Et c’est ainsi que débuta une longue carrière dans la névrose…

« On ne voit toujours pas en quoi Macron est concerné par votre histoire ! » Je vous sens impatient. J’y viens ! J’y viens !

Le président de la République française adopte exactement le même comportement que ma grand-mère monarchiste et savoyarde.

« Je ne le referai plus, promis ! »

A peine nommé ministre de l’Economie par François Hollande, le voilà qui traite d’« illettrées » des employées d’un abattoir. Terreur chez les communicants. Le jeune Macron se ravise et promet de ne plus recommencer.

Deux ans plus tard, rebelote. Il invective des grévistes en T-shirt en leur disant de travailler pour se payer un costard. L’un des grévistes lui ayant rétorqué qu’il travaillait depuis l’âge de 16 ans, Jupiter a dû dégringoler de son Olympe en se répandant en excuses. Mais qu’on se rassure, il a compris la leçon cette fois-ci.

Un an après être devenu président, il lâche à un jeune chômeur : « Je traverse la rue et du travail, je vous en trouve ! » Explosion de colères et de sarcasme sur la Toile. Emmanuel se frappe la poitrine. C’est sûr, on le l’y reprendra plus !

En 2019, la colère des Gilets Jaunes commence à bouillir et le président ne trouve rien de mieux que de railler « Jojo le gilet jaune » qui disposerait du même temps d’antenne pour s’exprimer qu’un ministre. Et, hop, un jet de bidon d’essence sur le feu ! Macron ne tarde pas rétropédaler en présentant une fois de plus ses plus plates excuses. Mais il ne le refera plus, c’est juré.

Macron et son confessionnal à roulettes

Et ainsi de suite… Méprise-t-ils ouvertement les élus locaux ? Peu après, le voilà réclamant leur indispensable soutien pour organiser son Grand Débat National afin de tenter d’éteindre les flambées de giletjaunisse. Nouvelles excuses. Suivies de nouvelles provocations contre ces corps intermédiaires qui, décidément, sentent un peu sous les bras. Et nouvel embarras lorsqu’il s’agit de quémander leur aide pour tenter de gérer les mesures anti-Covid.

La pandémie a encore accéléré ce mouvement perpétuel, prise de décision jupitérienne et repentir apostolique. L’épisode le plus marquant restera l’affaire des masques, inutiles voire nocifs, devenus par la suite indispensables et obligatoires. Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa !

Macron se comporte comme s’il disposait en permanence d’un confessionnal à roulettes avec abbé complaisant incorporé.

Et voilà que Jupiter ne va plus à Canossa !

A peine avais-je écrit ces lignes que, par pur souci de m’emmouscailler, le président quitte la route vers Canossa pour grimper à nouveau au sommet de l’Olympe. Dans sa dernière déclaration, plus question de mea culpa même a minima. En matière de mesures sanitaires, il a fait tout juste et tout bien depuis le mois de janvier ; il laisse à sa consœur Angela Merkel, le rôle de l’impénitente pénitente.

Sans doute, s’est-il rendu compte que ses excuses à répétitions suivies par la réitération des fautes lassaient le public. Mais le confessionnal reste à disposition au cas où le repentir redeviendrait tendance.

Cela dit, ma grand-mère n’avait pour interlocuteur que son brave homme de prêtre avec lequel elle sirotait parfois un verre de Lacryma Christi[1] dans la sacristie. Macron, lui, a 46 millions de confesseurs qui sont autant d’électeurs. Et eux n’ont point la rondeur affable d’un curé de campagne.

S’il veut se faire réélire l’an prochain, Emmanuel Macron ferait bien de faire couler un fleuve de mauvaise conscience protestante dans son océan d’autosatisfaction contrite.

Jean-Noël Cuénod

[1] « C’est le vin de messe, vous ne le répéterez pas, hein ?, ma chère Madame ?» ; pour ma grand-mère le péché de gourmandise n’en devenait que plus délicieux !

Ce papier est paru jeudi 26 mars dans le magazine numérique suisse Bon Pour La Tête qui a lancé sa nouvelle formule. Découvrez-la, elle vaut le détour : https://bonpourlatete.com/

 

 

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