Chirac, Sarkozy, Hollande en avaient rêvé, Macron l’a réalisé: convaincre Nicolas Hulot de devenir ministre. Et pas n’importe lequel: «Ministre d’Etat, ministre de la transition énergétique et solidaire». Il aura besoin de ce titre-bouclier, car ses collègues du nouveau gouvernement n’ont pas tous la fibre écolo, loin de là. En ajoutant «d’Etat» à son titre ministériel, le président Macron a donc élevé l’écologiste français le plus célèbre dans le peloton de tête de la hiérarchie protocolaire. Le numéro 2 du nouveau gouvernement, Gérard Collomb, est lui aussi «Ministre d’Etat» (à l’Intérieur). François Bayrou (à la Justice) est le troisième ministre à être ainsi oint par ce Saint Chrème gouvernemental.
Outre qu’elle permet d’être servi à table avant les autres (mais après le président de la République et le premier ministre, quand même), cette distinction donne un contenu symbolique fort à celui qui en est revêtu. Ce n’est pas forcément un détail négligeable dans un pays comme la France où les médias sont très gourmands en emblèmes et bimbeloteries clinquantes.
Au fil des ans à la tête de sa Fondation, Hulot a démontré qu’il n’était pas qu’un homme de belles images mais surtout un porte-parole populaire et convaincant de la défense de l’environnement. Pendant quinze ans, il a refusé systématiquement les portefeuilles que les présidents successifs lui ont proposés afin de profiter de sa grande notoriété télévisuelle. Pourquoi a-t-il changé d’avis maintenant ? S’il ne faut pas négliger l’effet sur Hulot de la Macromania qui balaie la France d’un vif courant d’air, le nouveau président lui a sans doute garanti un espace d’actions qu’aucun de ses prédécesseurs à l’Elysée n’avaient osé lui aménager. Et c’est vraisemblablement cette large marge de manœuvre qui a convaincu Nicolas Hulot d’accepter ce ministère d’Etat.
Son titre n’est d’ailleurs par anodin, «transition écologique et solidaire». Cela signifie que Nicolas Hulot ne se contentera pas de protéger le lys martagon ou le gypaète barbu (rien à voir avec la pilosité du premier ministre Edouard Philippe) mais qu’il aura la main sur un secteur-clé de la nouvelle économie vouée à la transformation des activités énergivores en développement respectueux de l’environnement. L’adjectif «solidaire» suppose que cette transition écologique ne laissera pas dans l’ornière les classes sociales défavorisées.
Comparée à ses pays voisins, la France a pris un grand retard en matière de politique environnementale. Le pari macronien est donc de créer un nouveau type d’activités économiques basé sur l’écologie au sens large du terme et d’en faire «un gisement d’emplois» pour reprendre l’expression chère aux énarques. La France macronifiée ferait donc d’une pierre deux coups : protéger l’environnement et lutter contre le chômage.
En théorie, ce plan paraît idéal. Il reste à le mettre en œuvre. Aussitôt, les ennuis commencent. Opérer une transition de ce type réclamera forcément l’injection de fonds publics, même si le nouveau gouvernement fera tout pour y intéresser le secteur privé. Or, dans cet exercice, Nicolas Hulot sera confronté à deux ministres issus de la droite Bruno Le Maire (Economie) et Gérald Darmanin (Action et Compte publics, autrement dit Budget, Sécurité sociale et Fonction publique), désignés comme chiens de garde pour défendre le coffre-fort de l’Etat contre les appétits budgétivores de leurs collègues.
Certes, toujours aussi malin en matière de «casting», le président Macron a choisi deux hommes de droite au libéralisme plus relatif qu’absolu. Lors de la primaire de la droite, Le Maire et Darmanin avaient vivement critiqué l’ultralibéralisme de François Fillon. Néanmoins, si Macron les a placés à ce poste, c’est bien pour tenir le rôle de pittbulls et non celui de caniches. Ce duo droitier connaissant mieux que lui les rouages de l’administration, Nicolas Hulot ferait bien de surveiller ses mollets.
Hulot et son premier ministre nucléocrate
L’autre obstacle sur la route de Nicolas Hulot sera le premier ministre Edouard Philippe lui-même. Car ce «gentil boxeur», qui semble aussi lisse que son président Macron, fut un nucléocrate de l’ombre. En octobre 2007, Edouard Philippe fut nommé «directeur de la communication et des affaires publiques» de la multinationale nucléaire française Areva. Ce titre ronflant cache, en fait, l’activité de lobby auprès des parlementaires et des médias pour les convaincre d’œuvrer en faveur de la cause nucléaire. Les discussions entre le chef du gouvernement et son ministre d’Etat risquent fort d’être explosives. Attention aux retombées!
Il reste à espérer que Nicolas Hulot aura l’entourage nécessaire pour l’aider à surmonter ou contourner tous ces obstacles. Une de ses armes maîtresses sera la menace de démissionner. Car son départ du gouvernement provoquerait une forte chute de popularité du président Macron. Mais on ne saurait la brandir à tout bout de champ. Rien ne s’use plus vite qu’une sommation qui n’est jamais suivie d’effet.
Jean-Noël Cuénod