Devinette macronienne : qu’est-ce qui ressemble le plus à un vieux monde ? Réponse : un nouveau monde. A preuve, la démission de Nicolas Hulot. Comme d’habitude, le président en exercice perd la main après un an de pouvoir. Comme d’habitude, l’écologie gouvernementale en France n’a d’autre utilité que celle d’un dieffenbachia, cette plante d’ornement au feuillage vert pâle.Un truc joli, l’écologie, mais dont les gouvernants français – et eux tout particulièrement – se lassent vite comme ces posters représentant de superbes paysages. Au bout d’un moment, on ne peut plus les voir en peinture, les posters. Alors, on les balance à la poubelle. Comme le disait l’alors président Sarkozy, encore essoufflé par ses efforts déployés lors du Grenelle de l’environnement, « l’écologie, ça commence à bien faire ».
Aucun président français n’a mené une politique cohérente dans ce domaine qui, à l’évidence, surplombe tous les autres. Le président Chirac avait fait un très beau discours à ce propos : « La maison brûle et nous regardons ailleurs ». Après cet énergique coup de menton, Jacques Chirac a jugé qu’il en avait fait assez pour la cause environnementale et s’est empressé de regarder à nouveau ailleurs.
Hulot sous le charme du pipeautier virtuose
Quant à Emmanuel Macron, la sauvegarde de la planète lui est tellement indifférente qu’elle est devenue l’Arlésienne de sa campagne présidentielle. Conscient de cette lacune qui pouvait faire mauvaise effet sur le plan médiatique, le nouveau président a réussi à engager dans son équipe, le seul écologiste à être populaire grâce à la télécratie, Nicolas Hulot. La plante d’ornement était posée bien en évidence sur le devant de la scène.
Après ses déboires sur le plan politicien avec Les Verts, Hulot en avait sagement conclu que son action serait plus efficace en promouvant l’écologie dans l’espace médiatique plutôt que de s’embourber dans les marais électoralistes. Emmanuel Macron a donc dû user de tout son charme de virtuose du pipeau pour le convaincre d’entrer au sein de son gouvernement. Avec à la clé un de ces titres ronflants qui impressionnent le gogo hexagonal : Ministre d’Etat – roulez tambour ! – Ministre à la transition écologique – sonnez clairons ! – et solidaire – fermez le ban ! Histoire de montrer combien le président Macron juge importante cette transition écologique.
Mais le dieffenbachia de l’espèce hulotia ne manque pas d’épines et une belle ligne sur la carte de visite ne suffit pas. Emmanuel Macron l’a su d’emblée en accordant à son Ministre d’Etat une attention soutenue. Tout en lui imposant deux secrétaires d’Etat garde-fous, – Sébastien Lecornu, qui vient de la droite LR, et Brune Poirson, jeune pousse très En Marche –, qui doivent tout au président, rien à leur ministre même d’Etat et dont l’ambition lupine n’est un secret pour personne.
Ce fut ensuite les arbitrages gouvernementaux souvent perdus par Nicolas Hulot, dont celui concernant le glyphosate. Devant l’impératif des intérêts financiers à court terme, la sauvegarde de la santé des travailleurs agricoles et des consommateurs n’a pas pesé bien lourd. Et l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, abandon voulu par Hulot, n’a pas suffi à faire oublier cette cuisante défaite. On n’éteint pas la « maison qui brûle » avec des pompiers cheminant à « petits pas écologistes ».
Par conséquent, la présence, hier, de Thierry Coste, lobbyiste en chef de la chasse et des armes, à la conférence entre Macron et les chasseurs n’a été que la goutte de vinaigre qui a fait déborder le vase du dieffenbachia hulotia. En fait, dès son entrée au gouvernement, la question à poser n’était pas « Hulot va-t-il démissionner ? » mais « quand Hulot claquera-t-il la porte ? »
Hulot plus fort que Macron au petit jeu de la com’
Nicolas Hulot aurait pu peser plus lourd politiquement s’il avait pu s’appuyer sur un groupe parlementaire. Il aurait eu l’occasion de le créer mais n’a pas tenté l’expérience, faute d’avoir cette fibre politicienne sans laquelle il est impossible de faire de vieux os dans ce panier de crabes. Dès lors, isolé, asphyxié sous les caresses d’Emmanuel Macron, Nicolas Hulot ne disposait pour se défendre que de son fusil à un coup : la démission. Aujourd’hui, l’ex-ministre d’Etat affirme qu’il a pris sa décision comme ça, au débotté, lors d’une émission en direct sur France-Inter.
En fait, la menace de la démission est d’un usage délicat. En partant trop tôt, vous passez pour un irresponsable ; en partant trop tard, vous perdez votre aura. Hulot est donc parti pile au bon moment. Il peut présenter un bilan honorable tout en prenant les gants de celui qui ne transige pas avec l’essentiel. Tout le monde attendait sa démission mais l’apparente spontanéité de son annonce a pris tout le monde par surprise. Au petit jeu de la communication, Emmanuel Macron aurait-il trouvé son maître ?
En tout cas, cette démission intervient au pire moment pour le président. Affaibli par les affaires Benalla et Kohler, les mauvais chiffres de la croissance, les annonces d’austérité du premier ministre Edouard Philippe, Macron semble avoir perdu la main et subir cette fatalité qui accable nombre de présidents français après un an de pouvoir.
Les bienfaits de la démission
Mais l’essentiel n’est pas là. Cette démission a l’immense mérite de démontrer de façon éclatante l’incapacité foncière de la caste politicienne française, Verts y compris, à envisager sérieusement l’écologie. L’économie, la sécurité sociale, les institutions démocratiques telles que nous les connaissons maintenant ne survivrons pas à la série de cataclysmes qu’annoncent le réchauffement climatique et la destruction croissante de l’environnement. Chacun le sait et le clame. Mais la caste politicienne n’a pas la carrure suffisante pour imposer les conséquences de ce constat sur les puissants groupes de pression du capitalisme financier qui tient dans ses mains l’industrie agro-alimentaire et chimique.
Toutefois, les politiciens ne sont pas les seuls responsables de cette lamentable impotence. Le peuple y a sa part. Elle n’est pas mince. Contrairement aux citoyens des pays de culture protestante, les Français, pour la plupart, n’ont que peu de goût pour l’écologie, comme leur culte de la bagnole le démontre. La sauvegarde de l’environnement ne surgit en tête de leurs préoccupations que lors de catastrophes majeures, telles celles de Tchernobyl et Fukushima. Mais après quelques semaines, l’intérêt se dégonfle. Le quotidien à court terme reprend vite le dessus. Dès lors, le sujet fait bailler les électeurs et les politiciens ne voient aucun intérêt électoral à prendre le risque de déplaire aux financiers de la pollution, pourvoyeurs de fonds et d’emplois.
Tant que cette mentalité générale règnera en France et ailleurs, nous continuerons à foncer contre le mur en montant les décibels de l’autoradio.
Jean-Noël Cuénod
Cher Jean-Noël, c’est un plaisir de te lire, d’une grande pertinence et écrit avec beaucoup d’élégance. Et maintenant, au peuple de montrer sa détermination pour une planète respectée ! Les gouvernements suivront …