Christianisme mort ou résurrection?

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Transcendance. ©JNC_Beaurecueil-Forge de la Poésie

Si Saint Paul revenait parmi nous, il tomberait une seconde fois de son cheval. La religion chrétienne se porte très mal. Toutes confessions confondues. A force de proclamer l’Evangile pour mieux s’asseoir dessus, elles l’ont vidé d’une grande part de sa substance. Mais pouvons-nous continuer à vivre sans transcendance, ce qui semble l’actuel régime du monde?

Dresser l’état des lieux des grandes confessions chrétiennes est une besogne bien déprimante. Au sein de l’Eglise catholique romaine la pédocriminalité a pris une ampleur telle qu’il n’est plus possible de la qualifier de dérives, tant elle s’est diffusée dans toutes les parties du monde et tant elle a persisté durant plusieurs décennies.

Côté protestants, les « évangéliques » trumpistes aux Etats-Unis ont dégradé leur confession au rang de marqueur identitaire comme le remarque l’historien Mark Noll dans la préface à son ouvrage The scandal of the Evangelical Mind: Les évangéliques blancs apparaissent comme le groupe le plus facilement réceptif aux absurdités conspirationnistes, le plus méfiant vis-à-vis de leurs adversaires politiques, et le plus agressivement anti-intellectuel (cité par Amnesty International). Les protestants libéraux du XIXe siècle, éclairés par les Lumières, devraient se retourner dans leur tombe façon tunnelier!

Chez les orthodoxes, le patriarche de toutes les Russie, Kirill, rassure les soldats russes en guerre contre l’Ukraine: s’ils meurent au combat, ils seront lavés de tous les péchés. Et des péchés,  Dieu sait s’il s’en commet sur un champ de bataille! Notez que le patriarche moscovite ne va pas jusqu’à promettre à ses soldats 72 vierges comme le professe certains prédicateurs islamistes aux candidats djihadistes…

Une sorte de contre-Evangile

 

C’est à croire que les professionnels du Christ s’ingénient à proclamer une sorte de contre-Evangile qui inverse tous les principes transmis par les Evangiles et les deux Testaments de la Bible. Déjà mis à mal par la sécularisation d’un grand nombre de sociétés, le christianisme est rendu inaudible par le zèle intempestif de ses intégristes.

D’où la réaction des Européens face au désespoir des migrants qui crèvent presque chaque jour dans les fossés de nos Bastilles. A chaque naufrage ou à chaque sauvetage de justesse comme celui, récent, de l’Ocean Viking, les médias classiques et les réseaux sociaux se posent en premier lieu les questions liées à l’hébergement, à la répartition des survivants dans tel ou tel Etat et, surtout, à leur refoulement vers les pays qu’ils ont fuit souvent en catastrophe. 

Le coeur à sec

Tous ses sujets doivent être abordés et discutés; les glisser sous le tapis serait encore pire. Mais peut-on juste ménager une place, même mesurée, aux souffrances endurées? Non, car le Migrant est devenu un concept qui a perdu toute chair. Avant que la déchristianisation ait fait son oeuvre, l’Européen avait encore un soupçon de conscience face au désespoir des migrants. Mauvaise, la conscience, certes. Mais enfin c’était tout de même une conscience. Maintenant l’Européen n’a plus que des intérêts à défendre. Vous avez dit « état d’âme »? Mais de quoi parlez-vous?

Le pape François peut bien rappeler les paroles du prophète Esaïe (chapitre 58 verset 7) Partage ton pain avec celui qui a faim / Et fais entrer dans ta maison les malheureux sans asile – qui aujourd’hui l’entend-il? Même à Rome sa voix ne porte plus.

Faillite de l’homme propriétaire des bien terrestres

Dans d’autres domaines, le christianisme est devenu aphone. Ainsi, dans la Genèse, l’être humain (« mâle et femelle, Il les créa »-I, 28) se voit attribuer par la puissance divine tous les biens de la nature. Aujourd’hui, compte tenu des dégâts provoqués par l’homme propriétaire des biens terrestre, ce message ne passe plus. 

Et comme le sens de la nuance n’est pas la vertu la plus répandue, nous avons vite faite de jeter toute transcendance avec l’eau du bain. Place à l’immanence seule. Nous en sommes à peu près tous là.

Sauf que si l’on chasse la transcendance par la porte, elle revient par la cheminée sous son état le plus sauvage. Le sanglant et long épisode du communisme autoritaire devrait nous porter à réflexion. Dès la création de l’Union Soviétique une vaste campagne d’éradication du christianisme a été entreprise. L’athéisme devenait la pensée obligée de l’homo sovieticus. Pour combler le vide transcendantal, un nouveau culte s’est instauré, celui dit « de la personnalité ». Le Père éternel était remplacé par le Petit Père des Peuples. Pour le pire.

L’humain tissé de récits

L’humain ne se satisfait pas de la seule immanence, il est porté à se projeter au-delà de ses propres limites et cherche un lien avec « ce qui le dépasse ». Si ce lien est incarné par un homme en chair et en os, cela confère à ce candidat à la divinisation un pouvoir de fascination symbolique d’une puissance difficilement contrôlable. 

Le christianisme avait réussi cette quadrature du cercle en associant transcendance et immanence dans la figure de Dieu incarné en Christ « qui s’est fait homme pour que les hommes se fassent Dieu » comme le disaient les Pères de l’Eglise.

Tout ce que nous pouvons dire de « ce qui nous dépasse » ne relève que du récit. Mais voilà, nous sommes tissés de récits. Dont celui du Christ, émanation divine qui a franchi toutes les épreuves humaines – la tentation du pouvoir, la trahison des proches, l’angoisse devant la mort, la mort elle-même, la souffrance causée par les tortures, les humiliations, le sentiment d’être abandonné par Dieu – pour que triomphe la vie. 

Ce récit-là, si porteur d’espérance dans un monde morne, aide à vivre et à vivre mieux. Mais pour quil retrouve sa voix, il faut le renouveler, hors des dogmes religieux et de leur identitarisme.

Le « Christ transcendant »

A la fin du XVIIIe siècle, un penseur avait esquissé ce Christ renouvelé, Joseph de Maistre, plus connu pour ses positions contre-révolutionnaires, voire réactionnaires. Mais si l’on franchit le rideau des apparences, nous trouvons une pensée novatrice qui s’est notamment exprimée dans le Mémoire de Joseph de Maistre au Duc de Brunswick-Lunebourg, écrit à l’occasion d’un Convent maçonnique (assemblée) tenu à Wilhelmsbad en 1782 sous l’égide du Régime Ecossais Rectifié (on peut se procurer gratuitement le PDF de cet ouvrage en surfant sur internet). 

De Maistre appelle « Christ transcendant », ce Christ débarrassé de ses oripeaux confessionnels. Le Christ qui est de tous les temps, hors du temps, au-delà de l’Histoire. Comme l’écrit Joseph de Maistre dans son mémoire: La vraie religion a bien plus de 18 siècles. Elle naquit le jour où naquirent les jours.

Jean-Noël Cuénod

 

6 réflexions sur « Christianisme mort ou résurrection? »

  1. Bonjour Jean-Noël,
    Le constat est exhaustif, que dire de plus : rien.
    Ne restant jamais sur un « échec » notre ADN nous pousse à la résolution,
    sans volonté de bousculer la société, une solution est de se rapprocher d’un certain manifeste co-écrit par l’abbé Renaudi. Cependant, chemin qu’il ne faut emprunter qu’avec une connaissance solide, l’exemple du communisme, essayant de reprendre certain leitmotiv défendu par les Enragés, nous a montré, une fois de plus, la vulnérabilité de l’Homme, d’où le triste constat (tri) de Breyer sur l’avenir de l’Homme..

  2. Bonjour Jean-Noël !

    Ton essai devrait être mis entre les mains et dans les neurones des responsables des grandes institutions , comme Obédiences , Fondations humanistes et autres, afin qu’un agenda d’actions se réalise.
    Entre autre situation effroyable : la criminalité sexuelle exercée sur les enfants ; on en parle depuis la st Glinglin et s’est reporté à la ste Prochrastine .
    Un chantier sur le célibat des prêtres catholiques serait un boulot pour les institutions; lesquelles restent lointaines pour le citoyen lambda et confidentielles pour le citoyen fidèle des églises. Merci, bon courage ! Amitiés. Michel ROTH.

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