Au matin du carnage, Paris atrocement vide et silencieux

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Sous un ciel pommelé dont on devine à peine des touches de bleu azur, Paris ne parvient pas à se réveiller de son cauchemar nocturne. Combien de morts ? 120 ? 127 ? Mais est-ce que l’on comptabilise les douleurs ? Colonne de droite ? Colonne de gauche ?

Il règne sur la place d’Italie ce silence qui suit le déchirement du drap. Ou le coup de fusil qui abat la tourterelle. Personne ne vaque. Aucune voiture ne roule avec ce grondement si particulier de tambour sur les pavés. La place d’Italie est un boxeur KO debout aux yeux rendus vides par l’enchaînement des uppercuts, des jabs, des crochets.

Une chanson qui dit un mal inguérissable / Plus triste qu’à minuit la place d’Italie écrivait Aragon séparé de son Paris par l’Occupation nazie. Ce matin à 9 heures, la place d’Italie avait cette mine des jours mauvais.

Durant la nuit et au matin, les Parisiens se sont cherchés, au téléphone, sur Internet, via Facebook : « Où es-tu ? » « Es-tu rentré ? » « Tout va bien ? » La Toile est tendue d’angoisses pour la sœur, le frère, l’ami, le cousin ou la cousine qui, peut-être, se trouvait juste là, Boulevard Voltaire ou dans le quartier, lorsque les barbus invoquant leur idole de sang et de haine ont semé la mort.

Paris se ressaisira, bien sûr. Il en a vu d’autres. Tellement. Entre la tourmente révolutionnaire, les barricades de 1830 et 1848, la Commune et les massacres par les Versaillais, la botte allemande, le soulèvement d’août 1944, les Algériens noyés dans la Seine en 1961, les Français mort pour défendre la cause de ces mêmes Algériens en 1962 à Charonne – tout près de l’une des attaques de cette nuit–, les pavés de Mai-68 et la mort de ce Mai-68 en janvier dernier à Charlie-Hebdo. Des pires épreuves, Paris s’est relevé. Et se relèvera encore et toujours.

Mais là, maintenant, il vit pleinement sa douleur comme une sorte de lourde méditation.

Le pire serait que le pays se déchire. Là encore, Aragon, aux pires heures de la France, avait chanté cette unité sans laquelle il n’est pas de vie collective possible (La Rose et le Réséda) :

Quand les blés sont sous la grêle

Fou qui fait le délicat

Fou qui songe à ses querelles

Au coeur du commun combat

Jean-Noël Cuénod

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