Sale petit morveux, voilà que je balance une claque à la fillette qui avait mon âge,7 ans, dans un préau d’école. Une exceptionnelle institutrice – surnommée Manguerre – me prend fermement par le bras. Plongé dans le mien, son regard gris si doux était devenu, non pas fulminant de colère, mais si triste que je m’en trouvais d’autant plus honteux: « On ne frappe pas une femme même avec une rose ».
Cette voix, à la fois impérative et tendre, je l’entends encore près de septante ans plus tard. Chaque fois, – c’est-à-dire presque tous les jours – que les médias apportent leur lot de violences contre les femmes, elle remonte à ma mémoire en battant des ailes comme un oiseau invisible et blessé.
Le procès qui se déroule actuellement en Avignon a réanimé cet oiseau.
La muselière afghane… et les autres
Rappelons-le, un homme de 71 ans est accusé d’avoir drogué sa femme pour la plonger dans une sorte de coma, afin de la violer et de la donner en pâture à cinquante individus qui, aujourd’hui, l’ont rejoint sur le banc des accusés.
Pendant ce temps, les Talibans viennent d’interdire aux Afghanes de faire entendre leur voix, hors du domicile conjugal. Cette nouvelle mesure vexatoire s’ajoute à d’autres persécutions exprimant une inextinguible et massive haine des femmes.
En Iran et dans d’autres dictatures islamistes, le genre féminin continue à servir de cible au machisme institutionnel et confessionnel.
Toutes les deux minutes trente
Et chez nous, en Occident paraît-il civilisé? Selon le site Noustoutes.org, un viol (ou une tentative) est commis en France toutes les 2 minutes 30. En Suisse, Le Temps relève que la criminalité a baissé entre 2020 et 2021, sauf en matière de criminalité numérique et… de viols! Durant ce laps, leur nombre a atteint 757 cas, soit le plus haut niveau de ces dix dernières années.
Ailleurs, même constat lamentable. Selon Amnesty International, en moyenne 700 000 femmes sont violées aux Etats-Unis. Près de 15% des victimes ont moins de 17 ans.
Il existe donc une culture du viol partagée par toutes les civilisations (à écouter ce podcast de France-Culture) et à toutes les époques. Est-ce donc ainsi que les hommes vivent?
Rage reptilienne
Sous nos latitudes démocratiques, de laborieux progrès ont été accomplis en matière de droits des femmes. Mais les violences contre elles demeurent. Les lois ne suffisent pas à éteindre cette rage reptilienne qui sourd du fond des âges patriarcaux.
Le monstre reste tapi dans l’ombre des consciences masculines, prêt à bondir.
Ma chère Manguerre (1), sans sermon, sans punition, ton regard et ta voix énonçant cette simple phrase: « On ne frappe pas une femme même avec une rose » m’avaient fait comprendre que le meilleur de mon entourage, n’était composé que de ma mère, ma grand-mère, ma sœur aînée.
A mon époque, on louait chez le petit garçon son aptitude à gonfler sa masse musculaire. Sois fier de tes biceps, mon fils! Et de la fierté jusqu’à leur emploi au détriment des fillettes, le pas était très vite franchi.
L’homme à reconstruire
Alors faut-il instaurer la déconstruction de l’homme comme on le réclame ici ou là? J’avoue ne pas en comprendre le sens.
D’autant plus que la machisme ambiant est en lui-même une entreprise de démolition, non seulement de la femme, mais aussi de l’homme qu’il transforme en robot du pouvoir, exerçant sur les femmes et les enfants cette autocratie qu’il subit lui-même dans les sociétés patriarcales.
Le machiste n’est qu’un homme amputé. Amputé de sa part féminine. Amputé de sa puissance créatrice et poétique. Amputé de l’amour.
L’homme n’est pas à déconstruire – le machisme l’a déjà fait – mais à reconstruire.
Jean-Noël Cuénod
1 Enseignante à l’Ecole Internationale de Genève durant les années 1940-1950. Son surnom est la contraction de « maman de guerre », en souvenir de son dévouement pour les enfants que le deuxième conflit mondial avait conduits en Suisse.
Il faut faire lire – ou relire – Carl Emil Young aux jeunes hommes et leur apprendre la dualité de l’âme- animus/anima – et donc la partie féminine de notre animalité.
JiMi
Merci Jean-Noël pour ces mots justes et puissants.
J’ai beaucoup appris sur ce mal être au monde, cette violence dans le rapport social en lisant Le berceau des dominations , anthropologie de l’inceste de Dorothée Dussy.
Bon dimanche.
Isabelle
Tellement bien exprimé !
Merci à Christine Zwingmann de nous inviter à nous reconnecter à notre féminin, fait de légèreté, joie, délicatesse.
Notre chemin paradoxal est cependant de marier en nous le féminin et le masculin Sacrés, comme l’écrit Annick de Souzenelle (1922-2024).
Et si la reconstruction du genre passait par le Sacré ?
Ah ! L’océan réussit à Christine !
Cher Jean-Noël, ton beau texte m’a donné envie de réécouter Léo Ferré : Est-ce ainsi que les hommes vivent ! Le progrès est si lent et pourtant on avance. Il faut y croire, encore et encore.