Coup de tonnerre dans un ciel que l’on croyait serein. Ma commune, Mareuil-en-Périgord, a placé Marine Le Pen en tête! Une révolution pour cette commune où règne la modération en politique. Modéré, même le climat l’atteste. Ni trop chaud ni trop froid ; ni trop sec ni trop humide. Dans ce coin du paradisiaque Périgord Vert, quel frelon a donc piqué les Mareuillais?
Mareuil-en-Périgord est une nouvelle entité qui a absorbé autour du bourg de Mareuil-sur-Belle la plupart des communes voisines de ce département de la Dordogne qui, lui aussi, a voté en faveur de Marine Le Pen (24,70% des voix), devant Emmanuel Macron (23,62%), Jean-Luc Mélenchon (20,11%) et Eric Zemmour (6,8%)[1].
Plus grande commune de la Dordogne, elle fait géographiquement partie du Périgord Vert (nord du département) au magnifique paysage de forêts et de collines, écologiquement préservé, avec l’un des plus beaux villages de France, Brantôme, que hante le seigneur éponyme, bretteur, séducteur et écrivain, auteur de « Vie des Dames Galantes ».
« C’est la campagne anglaise en beaucoup plus ensoleillée », explique un des nombreux résidents britanniques. Et en plus gastronomique serions-nous tenté d’ajouter. Un authentique pays de Cocagne où coule, littéralement, le miel (de Beaussac) et le lait bio (de la Meynardie). De nombreux retraités viennent y vivre des jours heureux au bord de la Nizonne, de la Dronne ou de la Belle.
Mais si l’on gratte un peu, une autre réalité apparaît, nettement moins idyllique. Préoccupante même. Les données économiques 2018 de Mareuil-en-Périgord révèlent que le taux de chômage (12,2%) est plus élevé que sur le plan national (9,1%) et frappe en premier les femmes et les jeunes. Ce malaise était déjà perceptible lors de la crise des Gilets Jaunes, de nombreux Périgordins ayant rejoint leurs rangs pour protester contre le désintérêt du président Macron vis-à-vis de la ruralité.
« Mais ici tout le monde souffre ! »
Un élu de Mareuil-en-Périgord (il tient à son anonymat) décrit fort clairement ce sentiment de colère qui traverse sa commune :
« Pourquoi Marine Le Pen arrive en tête chez nous ? C’est une terre de gauche et les électeurs n’appartiennent pas à l’extrême-droite. Mais chez nous, tout le monde souffre ! Macron a maltraité les retraités que c’en est un scandale ! Mon père a travaillé sa terre, pendant quarante ans, quatre-vingts heures par semaine, sans vacances, pour ne percevoir aujourd’hui qu’une maigre retraite agricole de 850 euros par mois. Ma mère qui a bossé aussi dur à la ferme, et en élevant quatre enfants, ne perçoit, elle, que 500 euros mensuels. Avec l’envolée des prix de l’essence, des huiles de chauffages et de tous les autres produits, impossible de s’en sortir. La plupart des retraités agricoles ne touchent que 80% du SMIC[2]. Ils ont la certitude que Macron privilégie le CAC 40[3] au détriment de ceux d’en bas. Alors ceux d’en bas en ont marre et expriment leur colère en votant Le Pen. »
Un concitoyen « de base » renchérit : « Les Mareuillais ne sont pas lepénistes. C’est une salve d’avertissement qu’ils ont adressé à Emmanuel Macron. Il faut qu’il s’occupe enfin de cette ruralité qu’il a délaissée. Sinon au second tour… »
A première vue, les électeurs mareuillais de Marine Le Pen n’ont pas forcément été séduits par ce qui fait le cœur de son programme, à savoir l’immigration et l’insécurité. Il n’y a guère d’immigrés à Mareuil, à part les Britanniques plutôt fortunés, et la violence de rue n’y sévit pas. Pourtant, un fin connaisseur de la vie locale qui vit à Saint-Sulpice-de-Mareuil (ancienne commune aujourd’hui absorbée par Mareuil-en-Périgord) place un bémol à ce quiet constat :
« Les incivilités, que nous ne connaissions pas naguère, commencent à apparaître. Des dealers rôdent à Mareuil et des délits s’y commettent plus régulièrement. Pour l’instant ces faits-divers restent restreints mais dans l’esprit des gens, ils sont amplifiés par le spectacle de la violence que diffusent à jets continus les chaînes de télévision. Cela a pu jouer un rôle dans le choix de certains électeurs. »
Des « radsocs » au socialisme en passant par le communisme rural
Le Périgord Vert a longtemps été imprégné par les « radsocs » (radical-socialiste) constituant la principale force de la IIIe République, puis par ce que l’on a appelé le communisme rural – né des très actifs maquis de la Résistance au Limousin et en Dordogne – et, après l’écroulement de l’URSS, par le Parti socialiste, comme le rappelle Jean-Pierre Porte, maire de Javerlhac-et-la-Chapelle-Saint-Robert.
C’est dire si le climat historique ne paraît pas propice à l’extrême-droite. Mais, ici comme ailleurs, le PS a déçu. « Dans ma commune, Anne Hidalgo, la candidate socialiste, ne fait même pas 2% des voix. Pour nous, c’est une révolution ! », constate le maire. « D’ordinaire, le PS était à 30-33%. Emmanuel Macron a voulu briser les cadres politiques traditionnels. Eh bien, il y a réussi avec le Parti socialiste mais aussi avec Les Républicains de Valérie Pécresse qui ont également sombré ! Quant à l’extrême-droite, je constate qu’à Javerlhac, si l’on additionne les voix qui se sont portées sur Dupont-Aignan, Zemmour et Marine Le Pen, on atteint la moitié du corps électoral ! »
« Secouer l’inertie »
Rédacteur en chef du magazine en ligne Agora Francophone, habitant Rudeau-Ladosse qui appartient à la même Communauté de communes que Mareuil, Arnaud Galy apporte quelques nuances quant au mal-être rural:
« La grande pauvreté et l’exclusion ne sont certes pas l’apanage du Périgord Vert en général et de Mareuil-en-Périgord en particulier. Entre les aides sociales et agricoles ainsi que les revenus qui ne passent pas toujours par les canaux officiels – travail au noir, vente de truffes plus ou moins clandestines, etc. – il est possible de tirer son épingle du jeu, en tout cas plus qu’en milieu urbain. »
Arnaud Galy ajoute : « Aux raisons nationales de voter Marine Le Pen, il faut ajouter celles d’ordre local. La région du Mareuillais se caractérise par une forme d’inertie générale qui se traduit au sein des autorités municipales. Pourquoi changer les choses, initier des projets, lancer des initiatives alors que nous sommes si bien ici ? Cette tendance est renforcée par l’apport de nouveaux habitants souvent retraités qui cherchent avant tout à profiter du calme d’une nature peu polluée. Cette tendance peut se comprendre, car c’est vrai qu’il fait plutôt bon vivre ici. Mais elle développe de nombreux effets pervers.
» Associée à l’abandon des services sociaux, cette absence de projets et d’initiatives provoque une fermeture sociale et le repli sur des « tribus » organisées autour de sujets spécifiques. Cela entraîne un déclin économique préjudiciable aux plus jeunes et aux couches les moins aisées de la population. D’où peut-être la tentation de secouer ce navire en eau trop calme par un vote extrémiste qui a profité à Marine Le Pen et, dans une moindre mesure, à Jean-Luc Mélenchon. »
Pour qui voteront les électeurs de Mélenchon ?
Le candidat de la France Insoumise était passé en tête à l’issue du premier tour de la présidentielle de 2017 tant à Mareuil qu’en Dordogne. Cette année, c’est donc Marine Le Pen qui prend la première place, devant Macron, puis Mélenchon.
Celui-ci reste donc populaire en terre périgordine. Au second tour entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, quel sera le choix des électeurs de Jean-Luc Mélenchon ? De l’avis général, nombre d’entre eux passeront d’une colère d’extrême-gauche à une colère d’extrême-droite, sans trop d’état d’âme. Emmanuel Macron devra multiplier les gages, notamment vis-à-vis des paysans, des jeunes sans emploi et des retraités pour tenter une « remontada » qui semble, pour l’instant mal engagée.
Jean-Noël Cuénod
[1] Résultat du premier tour de l’élection présidentielle française sur la commune de Mareuil-en-Périgord : 1. Marine Le Pen, 345 voix ; 2. Emmanuel Macron, 330 voix ; 3. Jean-Luc Mélenchon, 281 voix ; 4. Eric Zemmour, 95 voix ; 5. Jean Lassalle, 69 voix ; 6. Valérie Pécresse, 51 voix ; 7. Fabien Roussel, 47 voix ; 8. Anne Hidalgo, 44 voix ; 9. Yannick Jadot, 37 voix ; 10. Nicolas Dupont-Aignan, 11 voix : 11. Philippe Poutou, 2 voix ; 12. Nathalie Arthaud, 0 voix.
[2] Le Salaire minimum interprofessionnel de croissance est fixé à 1269 euros nets par mois.
[3] Indice boursier des quarante plus importantes entreprises de France.
C’est la troisième présidentielle pour laquelle les citoyens votent avec « leurs pieds », c’est-à-dire contre quelqu’un et non pour un femme ou un homme destiné à être leur grand timonier.
Le sens des valeurs, la droiture, la parole donnée, les promesses tenues, l’intérêt général, ont disparu peu à peu, faisant place aux intérêts particuliers ou de chapelles.
Si on suit l’avis de Churchill, il fallait choisir le moins mauvais candidat, le meilleur n’existant pas.
Une majorité de « trompettes » se sont rué sur les pires : un imposteur et trois autocrates poutinophiles. A pleurer. Les humains n’ont que peu de mémoire.
J’aime les Français et je voudrais qu’ils grandissent un peu.
En réponse à Monsieur le rédacteur en chef d’Agora Francophone, « sensible à croiser les différents points de vue », sachez qu’égratigner le milieu local dans lequel vous vivez en évoquant comme la panacée, aides sociales, agricoles et revenus divers qui sauvent ce pauvre monde rural n’est pas très louable. Une vérification de vos sources s’imposerait. Savez-vous ce qu’est une aide sociale ou agricole ? En connaissez vous les fastidieuses démarches pour peut-être en bénéficier… Le milieu urbain bénéficie d’autant d’aides sociales ; quant aux aides agricoles, elles ne représentent pas un revenu pour l’agriculteur mais une soi-disante compensation des médiocres prix que veulent bien donner la grande distribution et les industriels de l’agro-alimentaire à ceux qui tentent encore de faire vivre le monde agricole….le monde rural n’a pas de besoin de « tacles » mais de « soutien »…