Après l’affaire Olivier Duhamel, l’affaire Richard Berry. Les accusations d’incestes font bouillir les réseaux sociaux. D’autant plus que les personnes visées appartiennent à la crème du gratin. La prescription des actes pédocriminels est remise en question. Libérer la parole des victimes. Défendre les petits, fût-ce contre leur entourage. Mais attention au vertige du pilori.
Rien n’est plus révoltant que les abus dont les enfants sont victimes au sein du cocon familial, car ils les subissent en restant incarcérés dans le silence. Comment crier sa douleur quand celui qui vous l’inflige est votre dieu protecteur, celui de qui vous dépendez corps et âme ? Qui vous croira ? Personne. Vous serez aussitôt catalogué comme un sale petit menteur. Le pervers ? Mais c’est vous qui dénoncez l’indénonçable !
Plaies ouvertes
Alors autant souffrir sans mot dire et sans maudire, se ménager une évasion par l’esprit lorsque le corps est pris en mains adultes. Mais les plaies resteront vives et tous les rapports humains s’en trouveront bouleversés lorsque l’enfant-martyr entrera dans l’adulterie.
Les dénonciations qui actuellement crépitent répètent plus ou moins ce schéma. Compressées dans le chaudron clos des familles, les souffrances explosent aujourd’hui. Et la société se voit contrainte de scruter ces ombres jaillissantes sur lesquelles elle a détourné ses regards pendant trop longtemps.
Extinction du patriarcat
Le patriarcat était, naguère encore, tout puissant. Il est maintenant remis en cause par la diffusion croissante des valeurs que l’on disait féminines – la douceur, l’attention aux autres, le soin aux plus faibles, le sentiment de la justice – mais qui, en fait, représentent les plus nobles du patrimoine de l’humanité. Que ces dénonciations surgissent maintenant ne doit donc rien au hasard.
L’actuelle libération des paroles de victimes est donc salutaire. Néanmoins, comme toute activité humaine, elle peut dériver dans l’injustice.
Les Torquemada du cyberespace
En contemplant les torrents fangeux qui se déversent actuellement en prenant prétexte de ces accusations d’inceste, on est saisi de vertige. Le vertige du pilori. Sous couleurs de défendre la cause des victimes, les calomniateurs de la Toile s’en donnent à cœur triste. Joie noire d’expulser ses propres démons en prenant pour cible des notabilités dont la culpabilité n’est pas établie ou du moins pas encore établie.
Mais prôner la présomption d’innocence à ces Torquemada du cyberespace équivaut à évangéliser un volcan en fusion.
Le temps médiatique est devenu incompatible avec une saine, ferme et lucide administration de la justice.
Insaisissable soleil
La vérité est un soleil insaisissable mais la justice peut au moins lui donner un visage aux traits flous : la vérité judiciaire. Elle n’a pas la perfection de cette Vérité qui n’est pas de ce monde. Mais les humains peuvent au moins s’accorder à son propos pour élaborer des décisions conformes au bien commun. C’est notre justice. Par sa prudente pesée, à charge et à décharge des accusés, elle relève du marathon mais jamais du 100 mètres.
Ce n’est pas à la justice de se mettre au diapason des réseaux sociaux. Ceux-ci feraient bien, au contraire, d’accorder sur elle leurs violons grinçants. Sans doute est-ce beaucoup trop demander. Il est tellement jouissif, le vertige du pilori !
Jean-Noël Cuénod
Sans compter, c(e)rise sur les gâtés, le bonne dose de voyeurisme aussi glauque que malsain, qui nous fait chercher dans ces prétendus comptes-rendus objectifs, le détail sordidement croustillant. Ne pouvant y échapper, je préfère quant à moi m’abstenir de les lire – de même que je ne m’arrête pas sur la voie publique pour contempler un accident de la route où les secours sont déjà à l’oeuvre. On ne touche pas ce qui brûle, on ne lit pas ce qui avilit.
Merci pour ton papier, toujours aussi percutant que mesuré – ce qui n’est guère, sous ta plume, un oxymore! Marc
La vérité soleil insaisissable, oui, ou soleil si éblouissant qu’il empêche de voir… Le silence alors le couvre de son nuage de mystère, garant du secret à garder jusqu’à ne plus pouvoir… ne plus vouloir…
Vulnérabilité de l’enfance issue d’une éducation fondée sur l’obéissance aux adultes. L’éducation à la désobéissance appuyée à la force des valeurs morales, au développement de l’esprit critique. Question fondamentale.
Bravo renouvelée pour cette chronique d’une grande mesure, d’une imparable objectivité.
“A combattre le dragon, on devient dragon soi-même“ disait Nietzsche. Les adorateurs du pilori numérique sont de plus en plus nombreux, aidés en cela par le succulent niveau des réseaux sociaux. Christian Noorbergen
merci Jean-Noel pour cette réflexion si juste et mesurée comme toujours
Ce qui me choque le plus dans les lynchages sur ‘réseaux sociaux ‘ c’est qu’ils se cachent derrière l’anonymat des pseudos.
Portes toi bien
Se mettre au diapason des réseaux sociaux? Lorsqu’on voit ce torrent de délation dont il est bien difficile de démêler le vrai du faux, il faudrait plutôt parler de réseaux « dits” sociaux voire de réseaux antisociaux. Merci pour cette chronique!