« On a oublié que la pensée 68 était globalement favorable à la pédérastie ». Surfant sur la vague de l’affaire Duhamel, le téléphilosophe de la droite cachemire Luc Ferry continue de régler ses comptes avec l’ignoble Mai-68. Ce Mois majuscule que la gauche a oublié mais qui est resté fiché dans la mémoire de la droite comme une épine empoisonnée.
Il faut dire qu’elle avait eu tellement la trouille à cette époque que le ressentiment en est resté vif comme un fantôme qu’on ne parvient pas à chasser de ses cauchemars. Le Plouc a déjà raconté cette anecdote mais il ne résiste pas au plaisir de la resservir pour illustrer la panique qui s’était emparée de la bourgeoisie française.
La vieille panique
Genève avait aussi connu son Mai-68 axé plus spécifiquement contre une armée suisse rétrograde qui envahissait, un peu trop à leur goût, la vie des jeunes. Lors d’un grand défilé organisé sous la bannière du Mouvement du 17-Mai, le cortège remonte la Corraterie, en plein quartier des banques genevoises. Là, une énorme mercédès décapotable immatriculée à Paris est prise au milieu des manifestants. Un couple de bourges tout en tweed et bijoux occupe ce rutilant véhicule. On devine les lingots dans le coffre. La femme regarde son mari d’un air effaré et s’écrie « C’est pas possible, ils sont aussi ici ! ». Une partie du défilé est secouée de rire. Le service d’ordre exfiltre rapidement la mercédès pour éviter le lynchage.
Mais revenons à nos 68 moutons et à la tribune – intitulée « Pensée 68 et pédophilie » – que Luc Ferry a livrée au Figaro (on peut la lire ici). Le téléphilosophe souligne le soutien à la pédophilie et à la pédérastie, voire à leur promotion, notamment par René Schérer et Guy Hocquenghem.
Mai-68 vécu d’en-bas
A l’évidence : nous n’avons pas vécu le même Mai-68. Ferry parle – ou plutôt déparle – du Mai-68 d’en haut. Celui des grands penseurs, écrivains, profs de facs. Or, ceux-là, ne fréquentaient guère les barricades, les arrière-cours des bistrots ouvriers et les entrepôts d’usine.
Le Mai-68 du Plouc, il est en bas. Tout en bas. A la base. Ces discours sur la pédophilie, ils ne parvenaient même pas à ses oreilles. D’ailleurs, personne ne connaissait Schérer et Hocquenghem dont Ferry boursouffle l’importance sur le mouvement.
Le Plouc se rappelle plutôt les nuits blanches à faire tourner la ronéo pour imprimer les tracts ; le réveil à 4h. du matin pour aller les distribuer à l’usine Hispano-Suiza aux Charmilles, à discuter avec les saisonniers, traités en esclaves par le patronat et les autorités helvétiques, à organiser les étudiants et les apprentis les plus costauds pour le service d’ordre des manifs, à débattre sans fin pour refaire la société, à rêver d’un monde de pain partagé et de justice enfin rendue.
Pédomanie pas « pédophilie »
Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard que Le Plouc et ses camarades ont appris l’existence des prises de positions que Luc Ferry évoque. Avec effarement, certes. Toutefois, Mai-68 était mort et enterré. Impossible de faire le lien entre ces propos pédomaniaques et la fraternité folle, belle et libre qui nous avions vécue à ce moment-là. Cet état d’esprit était d’autant plus odieux qu’il se cachait sous le voile de ce mot pervers : « pédophilie », c’est-à-dire qui aime l’enfance ou les enfants. Or, en l’occurrence, il s’agit de prédation et nullement d’amour.
Notre Mai-68 ne revendiquait pas la pédomanie pour tous mais la fin d’un monde vieux qui n’avait pas tenu les promesses de la Libération. Pour la Suisse, les manifestants voulaient secouer le poids d’une armée omniprésente, d’une hiérarchie universitaire vermoulue, d’un patronat tyrannique et d’une bonne conscience bourgeoise inoxydablement hypocrite.
Poignée de boue contre une étoile morte
Les reproches que Ferry adresse à Scherer et consorts ne sont pas contestables ; c’est à bon droit qu’il les dénonce. Mais il fait de ces propos d’intellectuels l’alpha et l’oméga d’un soulèvement de la jeunesse qui s’est répandu dans le monde entier. Il réduit ce formidable élan vital aux vaticinations de penseurs aussi célèbres, en France du moins, qu’égarés.
Au nom de la droite cachemire, le téléphilosophe n’en aura donc jamais fini d’exorciser Mai-68. Ferry a jeté une poignée de boue contre une étoile morte.
Morte ? Pas tant que ça puisque ceux qui l’accablent ne cesse de la faire revivre !
Jean-Noël Cuénod
Je comprends ta position. Si mai-68 a eu son utilité, il a eu également ses travers.
Sur les dérive pedophiles, je soutiens Luc FERRY, car il dit vrai.
Ce qu’il dénonce, c’est une dérive qui a suivit mai-68. « Il est interdit d’interdire ».
Fils de militants socialistes, je me suis engagé très top dans la Pj où j’ai découvert avec stupéfaction ce qu’étaient les « Ballets Bleus et les Ballets Roses ».
On osait pas les dénoncer. Les participants étaient des édiles, des animateurs radio tv, des avocats et autres issus de cette mouvance de gauche nouvelle et non ouvrière.
Nous, nous n’étions que des « fachos » à leur yeux. Pourtant, des mineurs nous faisaient des confidences et c’était très risqué de partir en procédure, car certains prédateurs avaient des positions dominantes dans la société.
Heureusement, quelques années plus tard, il y a eu des plaintes tardives et des procès pour certains.