Vous n’aimez pas la poésie ? Il n’y a rien d’original à ça. La poésie n’est même plus méprisée, elle est ignorée. Alors que tout va de travers, surtout le langage, il est temps de redécouvrir ce qui en fait la source vive. Grâce à la poésie, les mots reprennent ces couleurs et ces reliefs que les mésusages des politiciens, publicitaires et autres médiacrates ont affadies et aplanis.
Les vers ci-dessous sont construits selon l’architecture du Tanka, métrique d’origine japonaise qui, selon Wikipédia, signifie littéralement « chant court ». Elle est composée de trois vers (tercet) de 5, 7 et 5 pieds suivis, séparés par un léger écart, de deux vers (distique) de 7 pieds chacun. Le total atteint donc 31 pieds.
Le Tanka est l’ancêtre d’une forme japonaise plus connue, le Haïku, qui n’a gardé du Tanka que le tercet 5-7-5.
En poésie, le nombre de pieds est aussi essentiel que l’agencement des mots en ce qu’il donne au texte son rythme et son souffle. Et c’est la contrainte qui permet à la poésie d’éviter le « n’importe quoi » qui la vide de sa substantifique moelle.
Dans la série suivante, « Chant d’un autre monde », vous pouvez lire chaque Tanka pour lui-même, sans tenir compte des autres. Ou alors, au contraire, les lire comme une suite qui formerait unité. Ou enfin en modifier l’ordonnancement pour découvrir d’autres sensations.
Comme d’habitude, il est possible de les lire, de les écouter ou de faire les deux. Bref vous êtes libres.
A LIRE
Chevauchant la dune
Les rayons de lune ondulent
Océan noirs reflets
Magma d’ombres des noyés
Pris dans le réseau des algues
Fugitif reflet
L’éternité dans la flaque
Tous miroirs brisés
Laissez les débris du temps
Eux-mêmes se recoller
L’étau de tes dents
Libère le cerveau de l’arbre
Que ton ventre accueille
La noix revit dans tes fibres
Ses débris jonchent le sol
Uppercut du vent
Le grand verne dodeline
Rassemble ses forces
Il esquive son trépas
Qui s’effondre compté dix
Trous de lumière
Dans le corps de la nuit
Forêt en alerte
L’auto passe son chemin
Et tout se remet en place
Ticket de métro
Poussé par un coup de vent
A tombeau ouvert
Vers son dernier voyage
Les abysses des égouts
Chant d’un autre monde
C’est le grillon du métro
Qui se souvient
Il a transporté ailleurs
Ses voyageurs sans boussole
Morceaux de soleil
Déchiquetés par les ronces
Comme chair à vif
Le sang de la lumière
S’écoule en gouttes de feu
La pluie épaisse
Nourrit mousse et humus
Joie dans les sous-sols
Turgescence des rhizomes
Gestation des girolles
Jean-Noël Cuénod
A OUÏR
Chaque strophe est un monde, immense.
Quelle densité ! Et quelle beauté !