Afrique et intelligence des liens

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Le poète camerounais Kouam Tawa en plein acte poétique à la salle Alcide-Dusolier (Beaurecueil-Forge de la Poésie) ©Arnaud Galy-MdG

Les poètes africains ont su conserver et parfaire l’intelligence des liens. Nous en sommes tissés, tous. Mais sur notre rive de la prospérité matérielle, nous en avons perdu la trame. Le poète camerounais Kouam Tawa nous incite à la redécouvrir. Cela s’est passé à la Maison du Goupillou et à Beaurecueil-Forge de la poésie, samedi dernier en Périgord Vert. Le public, envoûté, en a cru ses oreilles.

On appelle ce type de spectacle « performance », resucée du franglais qui traduit mal ce dont il s’agit. C’est-à-dire d’un acte poétique. Un acte que l’on pourrait qualifier de « magique » si cet adjectif n’avait pas été dévergondé par un usage aussi intense qu’inapproprié. Tout est magique, même un but de Mbappé. Donc plus rien n’est magique.

La magie, la vraie, est un processus de transformation du désir vers sa réalité.

Au coeur du verbe « faire »

Cette transformation a pour moteur l’acte poétique. Rappelons infatigablement l’étymologie du mot « poésie » qui est tirée du verbe grec poiein soit en français « faire ». On compose des vers, on rédige des textes mais on fait de la poésie car cet acte dépasse celui d’écrire. Un poème s’écrit mais aussi se dit et se met en geste, en musique. 

La poésie est créatrice de rituel en ce qu’elle créé un espace sacré contrairement à la prose, du moins celle qui ne porte pas en elle cette vibration propre à la poésie. 

Par cette mise en rituel, la poésie forme un égrégore, cet être psychique qui émane de tout groupe humain, décrit par mains auteurs et surtout par le médecin et poète surréaliste et franc-maçon Pierre Mabille :

 L’égrégore est (…) ce tout qui dépasse l’ensemble de ses parties, ce rassemblement d’individus qui donne naissance à une entité nouvelle et autonome (cf. Pierre Mabille, « Egrégores – Ou la vie des civilisations »- Egrégores Editions).

C’est donc en pleine conscience que Kouam Tawa a créé et partagé son acte poétique, tout d’abord à la Maison du Goupillou, sur la commune de Rudeau-Ladosse, puis à 800 mètres en contrebas, à la salle Alcide-Dusolier du château de Beaurecueil-Forge de la Poésie. 

Rituel de l’eau

Avant de prendre parole, Kouam procède à un rituel de l’eau « trois gouttes par-ci, trois gouttes par-là, trois gouttes plus loin, neuf gouttes en tout ».

Ainsi ondoyés, les spectateurs – disons plutôt les participants – sont embarqués dans deux poèmes – Loin d’être loin et Gouttelettes – que le poète camerounais avait écrits, durant les deux nuits précédant ce partage, à la Maison du Goupillou où il a trouvé résidence d’écrivain ( belle présence également en ce lieu de la romancière franco-helvéto-corréenne Elisa Shua Dusapin).

Et nous voilà, sous la voix envoûtante du guérisseur Kouam, foulant en même temps la savane du pays Bamiléké et les sentiers moussus de la forêt périgordine. 

« Loin d’être loin », en effet. L’eau qui a servi de baptême au partage poétique vient de la fontaine de Saint-Sicaire à Brantôme. La légende lui a donné le nom d’un enfant martyr, l’un des Saints Innocents tués par les soldats du roi Hérode au moment de la naissance de Christ Jésus.

Cette fontaine proche de l’Abbaye de Brantôme fut un lieu de pèlerinage, son eau étant censée rendre fécondes les femmes stériles et sains les enfants malades.

Un même goût salé…

La source de cette fontaine surgit-elle des rochers du Périgord Vert ou de la cruche de Kenmali ou de Touokm’si? La femme qui se désole de son ventre infécond est-elle une paysanne d’ici ou de là-bas? La mère qui oint de cette eau son fils malade prie-t-elle en occitan, en français ou dans l’une des 248 langues régionales du Cameroun? Vaines questions. Toutes les larmes ont le même goût salé. Celles qui coulent aussi lorsque les réfugiés quittant l’Afrique sombrent en Méditerranée.

Le poète Kouam, par son verbe, fait vibrer chacun des liens qui tissent nos vies, la vie. Liens avec ceux qui ont rejoint la classe des ancêtres, liens avec l’arbre, la fleur, l’animal, le ciel, le soleil, la pluie, le proche, l’étranger, avec chaque homme, chaque femme, avec celles et ceux que l’on aime, celles et ceux que l’on aime moins.

Retrouver le sens de la parole

La mort n’existe que pour les malheureux qui ont coupé les liens; pour les autres, pour Kouam et les poètes, elle fait partie du processus vital. Elle est la porte ouverte vers d’autres aventures.

Il reste à bien nommer les êtres et les choses, à l’instar de Kouam Tawa:

et je sais par vous
pères et mères
qu’une chose
est moins
ce qu’elle est
que ce que l’ont dit
qu’elle est
quand on le dit
avec des mots
qui vont au coeur
des choses
et pénètrent
le sens de la parole.

Kouam Tawa, ta voix résonne encore dans nos forêts, « loin d’être loin », disais-tu…

Jean-Noël Cuénod

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