L’Eurovision n’a jamais été ma tasse de thé. Et encore moins mon verre de fendant. Le rap m’ennuie, la pop m’englue, la techno me donne des boutons, la variétoche me révulse. Mais il était fort malaisé de passer entre les gouttes de sirop grenadine avant l’Eurovision 2024 en raison des manifs réclamant l’éviction de la chanteuse israélienne.
Avant l’ouverture du concours, les médias français n’ont cessé de nous rabattre les oreilles de cette extension du domaine de la chansonnette sur le champ géopolitique.
Mais le lendemain matin de cette sorte d’épreuve olympique de la paillette en folie, silence quasi-complet. Juste, en passant, une allusion à la quatrième place du chanteur français d’un concours remporté par un certain Nemo représentant la Suisse.
Ce pays où broutent les banques…
La Suisse? Oui, la Suisse. Le pays où les banques broutent l’herbe grasse au flanc des montagnes pour produire du chocolat. Ce pays qui n’intéresse la France que lorsque M’Bappé rate son pénalty contre Yann Sommer.
Nemo? Connaissais pas. Jamais entendu parler ou chanter. En consultant les réseaux sociaux, c’est le choc. Tout en collant chair et plumes roses, Nemo défrise. Et pas seulement par sa chevelure savamment indisciplinée. Mais surtout par son discours plaidant la cause non-binaire, « Je ne m’identifie pas en tant qu’homme ou femme. Je suis juste Nemo. » Identité fluide prônée au moment même où les identitaires reprennent de poil de leur bête.
Que la Suisse ait choisi cette figure de la cause non-binaire pour la représenter est en soi le signe que, sous les radars des gros médias français, elle a considérablement changé.
Elle respecte aujourd’hui, ce qu’elle ne tolérait guère il y a peu et qui reste vivement réprimé dans de nombreux pays et pas seulement musulmans.
L’Eurovision m’insupporte toujours autant et Nemo reste musicalement très éloigné de mes vieilles oreilles. Mais cette figure gentiment iconoclaste d’un « iel » chantant et bondissant m’a fait plaisir. Elle nous change agréablement des ternes gnomes de Zurich ou de Genève qui ont fait tant de mal à la Confédération.
« Un crétin suisse emplumé »
Nemo, c’est l’émergence d’une Suisse décoincée, libre, insolente et pétillante. Son image était grisouille, la voilà multicolore.
Et puis, lorsque qu’un journaliste français traite Nemo de « crétin suisse emplumé », on se dit qu’une vedette qui suscite des réactions aussi sottes et virulentes a su toucher un point sensible.
Vous noterez que l’insulteur ne s’est pas contenté d’honnir un « crétin emplumé », il précise « suisse » pour bien en rajouter dans le mépris. Nous voilà revenus aux « crétins des Alpes » du capitaine Haddock.
Décidément, cette face non-binaire de la Suisse devient un sacré miroir. Et pas seulement pour les Helvètes.
Jean-Noël Cuénod
Et pourtant la Suisse régale nos oreilles avec de grands talents comme entre autres, le pianiste Collin Vallon, le guitariste Louis Matute et la harpiste Julie Campiche.
Pourtant, ils ne risquent pas d’être sélectionnés dans ce genre de manifestation. Leur défaut ? Ils sont musiciens de jazz et jouent une musique de grande qualité…
Du coup, j’ai regardé de près.
C’est vrai que iel Nemo est mignon !
Et si nous laissions vivre chacun avec sa différence !