Macron, Credit Suisse et arrogalcoolisme

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Dessin de ©Valott inspiré par Charlie Chaplin, paru sur le site Bon Pour La Tête-Média indocile.

« Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés ». Frappés par quoi? De la peste comme les animaux malades qu’illustre Jean de la Fontaine? En l’occurrence, il s’agit d’un périlleux état de dépendance, l’arrogalcoolisme. L’actualité a mis en lumière deux de ses victimes: la présidence française et la banque suisse.

L’arrogalcoolisme intervient lorsque l’arrogance (1) constitue un mode de fonctionnement et que la morgue – qui en est l’une des principales expression – devient un trait de caractère dominant.

Traiter le président français Emmanuel Macron d’« arrogant » relève du cliché éculé. C’est le qualificatif qui lui est le plus couramment accolé. Mais les clichés éculés, ça se mérite.

Serment d’ivrogne et l’émoi du Moi

A un rythme régulier, Macron promet d’arrêter l’arrogance, que cette fois-ci, il a compris, et enfilera la robe de bure des franciscains pour faire montre d’humilité.

Serment d’ivrogne! Le président retombe aussitôt dans la morgue. C’est plus fort que lui. A ce niveau-là de dépendance à l’émoi du Moi, on peut parler d’arrogalcoolisme. Sa plus récente intervention télévisée, mercredi 22 mars dernier, a relevé de la crise aiguë.

Sa réforme des retraite continue à être rejetée massivement par les Français, à semer des manifs dans la plupart des villes grandes, moyennes ou petites, à faire monter la violence sociale, à multiplier les grèves, à bloquer tout un pays avec, pour l’instant, le soutien des Français, rien n’y fait.

Emmanuel Macron se rend devant les caméras pour ne rien dire à ses administrés sinon que la réforme étant définitivement adoptée – sans vote du parlement par l’emploi de l’article 49-3 de la Constitution (2) –, il est temps de passer à autre chose. Aucune mesure pour sortir la France de ce qui devient une crise de régime, ni référendum, ni dissolution de l’Assemblée nationale, ni changement de fusible – pardon! – de premier ministre, même pas un petit remaniement ministériel. Brave gens en France, sachez qu’il ne se passe rien dans votre pays!

« J’entends la colère des Français » affirme souvent le président. Les écoutez, c’est une autre chose que l’arrogalcoolique ne peut accomplir. Lui seul sait, pourquoi écoutez les autres puisqu’ils ne savent pas? Capitaine d’un bateau ivre, les brumes de l’ego l’empêchent de voir les écueils.

Il table sur le pourrissement de la situation, oubliant que c’est toujours par la tête que le poisson pourrit.

Les gnomes sur le toit du monde

En matière d’arrogance, le président Macron doit affronter une rude concurrence, celle représentée par de nombreux dirigeants bancaires suisses, ces gnomes de Zurich et de Genève qui, du haut de leur taupinière, croient se pavaner sur le toit du monde.

Celles et ceux qui ont connu les années Bernard Bertossa à Genève (de 1990 à 2002) mesurent la somme d’effort et de courage que ce procureur général a dû déployer dans la lutte contre le blanchiment de l’argent criminel, malgré les résistances acharnées des milieux bancaires qui acceptaient les fonds des mafias et des dictateurs sans trop se poser de questions.

Il aura fallu les pressions des Etats-Unis ( moins soucieux de défendre l’éthique financière que de préserver leurs propres paradis fiscaux comme le Delaware !) pour les conduire à se montrer moins indécents.

Mais quand les nains se saoulent à l’ivresse des hauteurs, ils risquent à tout bout de champ de se prendre les pieds dans le tapis.

De pesantes « peanuts »

Chacun se rappelle en 1997 la conférence de presse  du patron de l’UBS Robert Studer qualifiant de peanuts les montants détenus auprès des banques suisses par les Juifs disparus dans la Shoah. L’attitude indigne de sa place financière dans l’affaire des fonds en déshérence avait alors sali durablement la Suisse et son image dans le monde. Des peanuts que notre pays a eu bien du mal à digérer.

Bien entendu, nos arrogalcooliques bancaires confits dans leur stupéfiant égotique n’ont tiré aucune leçon de ces défaites morales, la récente déconfiture du Crédit Suisse en constitue la triste illustration.

Entre Macron et le Crédit Suisse, McKinsey

A propos du CS – qui a produit au fil des ans une belle brochette d’arrogalcooliques – il partage un autre point commun avec le président Macron : le cabinet de conseil étatsunien McKinsey. Ce dernier a réalisé au moins une quarantaine de missions pour le compte du gouvernement français.

Or, selon un article de notre confrère PME , le Crédit Suisse, notamment son ancien patron Brady Dougan, a lui aussi usé des coûteux service de ce cabinet. Apparemment, l’arrogalcoolique aime déléguer au prix fort!

La marque d’un déficit d’esprit civique

L’arrogance n’est pas qu’une corruption du caractère, elle est aussi, sur le plan collectif, la marque d’un déficit d’esprit civique (3) dans un ou plusieurs secteurs des Etats de droit. Nous ne parlons pas des dictatures qui, elles, sont totalement imprégnées par cette forme d’hybris.

L’arrogalcoolisme touche donc particulièrement en France, la gouvernance politique, et en Suisse, les milieux bancaires.

Nanti de pouvoirs qu’aucune démocratie ne réserve à un seul individu, le président de la République ne peut qu’être saisi par le vertige de la solitude omnipotente. Placé en surplomb de ses administrés, le maître de l’Elysée est bien placé pour céder à le tentation de l’arrogance.

En Suisse, durant des décennies, les banques suisses étaient nimbées d’une aura de toute puissance, apparaissant comme les garantes de la prospérité économique. Toucher aux banques, c’était atteindre la Suisse même.

Il a fallu que les décideurs politiques se fassent tordre le bras par les Etats-Unis et d’autres pays pour que le secret bancaire soit abandonné en 2009, du moins sur le territoire helvétique.

Depuis, l’aura bancaire s’est considérablement estompée. Mais les vapeurs de l’arrogalcoolisme ne se sont pas dissipées ipso facto. La sphère  de la psychologie sociale a toujours un temps de retard sur la réalité des faits.

La Suisse et la France en cellule de dégrisement

Aujourd’hui, la France comme la Suisse sont entrées de force en cellule de dégrisement.

Les épisodes de la réforme des retraites ont dénoncé dans toute leur crudité les lacunes démocratiques en France. Désormais, si les jeunes semblent avoir pris le relai de leurs aînés dans les cortèges, c’est principalement contre l’emploi du 49-3 qui a court-circuité le processus parlementaire.

En Suisse, l’effondrement du Crédit Suisse après des années d’errance agit comme un électrochoc et ses conséquences vont perdurer. De quoi faire redescendre brutalement les milieux bancaires de leur piédestal.

La cellule de dégrisement conduira-t-elle les deux pays à goûter aux charmes discrets de l’humilité? L’espoir est permis. L’ennui avec l’arrogalcoolisme, c’est la rechute toujours possible.

Jean-Noël Cuénod

1 Il existe plusieurs définitions du mot « arrogance ». La plus récente est proposée par le CNRTL (Centre national des ressources textuelles et lexicales), à savoir « comportement fait de mépris et d’insolence, le plus souvent affectés ».

2 « Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session».

3 Par esprit civique, Le Plouc entend le sens de la responsabilité qu’éprouve le citoyen vis-à-vis de la société dont il fait partie.

Cet article est paru vendredi 31 mars sur le magazine numérique BON POUR LA TÊTE-Média indocile https://bonpourlatete.com/

1 réflexion sur « Macron, Credit Suisse et arrogalcoolisme »

  1. L’ennui avec l' »arrogalcoolisme » à Genève, c’est qu’il touche beaucoup plus que les banquiers; les sociétés « riches » paient des salaires ( ou primes ) dépassant les moyens de les dépenser utilement. Quand le millier de francs ressemble à nos dix centimes, la courge prend de telles ampleurs que le dialogue, ou la discussion, n’est plus possible.
    Cette nouvelle classe tue l’unité sociale qui faisait le charme de notre ville. Schade.

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