Sioniste et pro-palestinien, est-ce possible?

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André Chavanne, humaniste et ministre genevois de l’Instruction publique. Un oxymore prophétique? ©Wikipédia

Ministre genevois de l’Instruction publique pendant 24 ans, le socialiste André Chavanne (1916-1990) répondait à ceux qui lui demandaient de prendre position au Proche-Orient: « Je suis résolument sioniste pro-palestinien ». Contrairement aux apparences, le populaire Dédé ne bottait pas en touche.

En une formule paradoxale, celui que les Genevois surnommaient « Fidel Bistrot » – eu égard à sa fréquentation des cafés et à un certaine sympathie castriste – illustrait à la fois toute la complexité de la situation d’une terre avec deux peuples et l’espoir d’en sortir un jour.

Le mot « sioniste » aujourd’hui – et singulièrement en France – relève du registre injurieux, alors qu’il ne s’agit, ni plus ni moins, de qualifier un mouvement qui a pour objectif d’ériger une Nation en Etat.

Des mouvements nationalistes il y en a eu de toutes les couleurs, à gauche, à droite, voire les deux à la fois. La plupart du temps, c’est par la violence qu’ils ont atteint leur but. C’est ni bien ni mal. Ou plutôt, c’est le plus souvent les deux.

La création d’un Etat-Nation n’est pas un déjeuner sur l’herbe

Incriminer au XXIe siècle, par exemple, les attentats du Front de libération nationale en Algérie n’aurait aucun sens. « La Révolution n’est pas un dîner de gala », disait Mao, et la création d’un Etat-Nation n’est pas un déjeuner sur l’herbe.

Le sionisme fait donc partie de ces mouvements nationaux. Un mouvement comme les autres? Non dans la mesure où aucun d’entre eux n’est « comme les autres »! Mais cela n’en fait pas une entité néfaste en soi, par essence.

Le conflit israélo-palestinien n’est pas né d’hier, des décennies de combats entre Juifs et Arabes ont ensanglanté cette région avant la création d’Israël  Lors du partage le 29 novembre 1947 par l’ONU entre un Etat arabe et un Etat juif, 630 000 juifs et 1.340.000 Arabes vivaient en Palestine mandataire. Les Arabes ont refusé le partage. Les Juifs ont renâclé pour, finalement, l’accepter sans enthousiasme sous l’impulsion de Ben Gourion. Qui, dans la foulée, a proclamé la création de l’Etat d’Israël, le 14 mai 1948.

On connaît la suite: les armées de Transjordanie, d’Egypte, de Syrie et d’Irak, ainsi que l’Armée de libération arabe créée par la Ligue Arabe, attaquent l’espace dévolu aux Juifs par le partage de 1947.

Bilan après l’arrêt des combats en 1949: deux vainqueurs – Israël et la Transjordanie (devenue dès lors Jordanie) qui agrandissent tous deux leur territoire – mais un grand perdant, le peuple palestinien dont une partie majeure se voit expulsée de sa patrie.

Deux douleurs qui s’excluent mutuellement

Dès lors, au fil des guerres qui suivront, deux douleurs vont naître en s’excluant mutuellement.

Côté palestinien, c’est la naqba – la grande catastrophe – qui réduit les Arabes musulmans et chrétiens à l’état de réfugiés dans les pays voisins où ils sont plus ou moins bien accueillis.

Cette situation va encore s’aggraver avec la défaite de 1967 qui a vu la Cisjordanie être occupée par Israël. Et plus encore, par la politique israélienne de colonisation des terres palestiniennes, politique que Netanyahou n’a pas initiée mais qu’il a singulièrement aggravée.

Le désespoir des Palestiniens ne cesse dès lors de s’approfondir en voyant leur espace national devenir peau de chagrin(s) et leur avenir disparaître dans la fumée des combats.

Et si Israël avait perdu en 1949?

Côté israélien, quel aurait été le sort des Juifs de Palestine si les armées arabes coalisées avaient triomphé? On ne le saura jamais en toute certitude même s’il est très peu vraisemblable que la mansuétude des vainqueurs leur aurait été acquise! Le Grand Mufti de Jérusalem Mohammed Amin al-Husseini n’avait-il pas pactisé avec Hitler? Certes, ce nazislamiste ne saurait représenter la cause arabe; nombre de musulmans condamnèrent ses positions. Néanmoins, il ne faut guère se faire d’illusions sur la survie des Israéliens en cas de défaite en 1949.

De plus, les Juifs des pays arabes ont dû, eux aussi, quitter leur terre natale pour se réfugier notamment en Israël.

Chaque camp continue à rester figé dans sa propre douleur. Et depuis les massacres antisémites du 7 novembre 2023 par le Hamas et la destruction systématique de Gaza par Israël, cette situation n’a fait qu’empirer.

Le peuple « de trop »

Une mentalité génocidaire s’insinue chez les uns et chez les autres. Il y a un peuple « en trop », supprimons-le. La seule solution envisageable, celle dite des « deux Etats » sombre dans le néant.

Mais quelle autre pourrait-elle la remplacer? Un seul Etat, Israël pour investir tout l’espace palestinien? Une seconde naqba pour les Arabes. Et une catastrophe annoncée pour les Israéliens. Dilué par le nombre de musulmans, Israël perdrait ce caractère judaïque qui est pourtant la raison d’être de sa création. Sans compter sa dégradation en Etat d’apartheid.

Et voilà que l’on tourne une fois de plus en rond, alors que les morts s’accumulent à Gaza.

Etre sioniste pro-palestinien relève aujourd’hui de la provocation, tant du côté israélien que palestinien. Mais tout lasse, tout passe, tout casse. Un jour lointain, l’oxymore d’un truculent ministre genevois deviendra prophétie. D’ici là bien du sang coulera sous les ponts d’ici et d’ailleurs.

Jean-Noël Cuénod

1 réflexion sur « Sioniste et pro-palestinien, est-ce possible? »

  1. Merci Jean-Noël mais tant de questions transparaissent entre tes lignes. Notamment pourquoi le monde et surtout les pays arabes ont-ils laissé croire aux cent milles Palestiniens réfugiés après la création de l’Etat d’Israël que la seule solution était de revenir chez eux, alors qu’Israël construisait un pays avec des millions de réfugiés dont cent milles des pays arabes? Pourquoi a-t-on fait de cette population palestiniennes des assistés à vie et réfugiés de père en fils, de grand-père en petit-fils? Israël mène un génocide depuis plus de 75 ans dit-on, mais les cent milles réfugiés palestiniens sont devenus des millions, génocide n’est peut-être pas le mot qui convient? Qui se souvient de septembre noir et des milliers de réfugiés palestiniens assassinés en Jordanie?
    Il y an encore tant d’autres questions. Mais dans ce débat actuellement on ne se pose pas de questions, ce sont les dogmes que occupent le terrain et c’est ce qu’il y a d’effrayant.

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