Un politicien sollicite-t-il votre suffrage en promettant qu’il va « complètement changer la façon de faire de la politique » ? Vous pouvez tenir pour certain qu’il sautera les deux pieds joints dans la plus vieille politique qui soit. Et qu’il s’y vautrera sans la moindre parcelle de vergogne.Emmanuel Macron vient d’en administrer la plus décourageante des démonstrations. Avec lui, désormais, plus de vieilles ficelles, plus de promesses fallacieuses, plus de coups de billard à multiples bandes. Que du propos véridique, franc du collier, sans double langage. Du pur, du net, de l’authentique. Du discours estampillé bio, 100% matière grise et 0% matière grasse.
Trois mois après, PrésidentToutNeuf nous fait une de ces Kolossales Finesses qui nous ramène à l’époque des présidents portant haut-de-forme huit-reflets, redingote noire et ventre de bouvreuil.
Le 17 juillet, il convoquait à Paris les élus locaux pour les oindre de belles paroles. Le philosophe Levinas était même sollicité pour éblouir les manants. Ça en jette, du Levinas. D’autant plus qu’il porte le même prénom que le Chef de l’Etat. «La logique budgétaire, c’est de couper les dotations en 2018, nous ne le ferons pas» avait-il clamé en regardant la France profonde aux fonds des yeux.
Le 20 juillet, un décret signé en tapinois supprime 300 millions de crédits que l’Etat aurait dû accorder aux régions. Attention, Macron n’a pas trahi sa promesse ! Il avait parlé des dotations de 2018. Mais l’amputation de 300 millions, c’est pour cette année. Voilà qui change tout.
Dans un précédent papier du Plouc (Macron Centralisator met au pas les manants élus) nous avions déjà évoqué la politique hypercentralisatrice de Macron-L’Araignée qui tarit les ressources fiscales des collectivités locales, les plaçant sous la coupe de Bercy. Avec cette coupe supplémentaire, il parachève le travail. Macron se prétendait girondin. Le voilà jacobin[1] .
C’est d’ailleurs une caractéristique du personnage désormais bien ancrée dans l’opinion. Il devient systématiquement l’opposé de son image première. Le banquier se mue socialiste et le socialiste se transforme libéral.
PrésidentToutNeuf adopte la tactique du lapin de garenne. Le chasseur le vise à gauche, hop, Macron est à droite. Le canon se braque sur la droite, hop, Macron saute au centre. Le but est de lasser le chasseur pour qu’il devienne végétarien.
Cela dit, le truc du lapin des garenne atteint ses limites en l’occurrence. La Finesse est trop Kolossale pour ne pas provoquer la colère des élus locaux qui ont un moyen tout trouvé pour se venger : les élections sénatoriales du 24 septembre prochain.
170 des 348 sièges du Sénat seront renouvelés ce jour-là par un collège de grands électeurs composés, rappelons-le, d’élus locaux. De plus, La République En Marche (LREM), le parti du président Macron, de fondation très récente, ne dispose pas encore de grands électeurs; il est donc obligé de séduire les élus venant d’autres partis pour récolter des suffrages. Qui ne vont pas oublier de sitôt le coup (ni le coût) des 300 millions.
Dès lors, la Kolossale Finesse risque fort de se retourner contre le président Macron. Avec un Sénat massivement acquis à l’opposition, il ne pourra guère obtenir les 3/5 des voix du Congrès (réunion des deux chambres du parlement) nécessaires pour réformer la constitution sans recourir aux aléas du référendum.
Jean-Noël Cuénod
[1] Même si le duel girondins-jacobins n’a guère de réalité historique, à lire cet excellent blogue du professeur Jean-Clément Martin dans le Club Médiapart