VERSION ACTUALISÉE
Ecrite en langue morte, la « Lettre aux Français » du président Macron ne pouvait que manquer de souffle. Contrairement aux « Soufflaculs» de Nontron (photo), sous-préfecture du Périgord Vert, héros sans culotte de cette fête aussi annuelle que pétaradante[1].
Puisque nous sommes au Périgord, autrement dit la Dordogne, restons-y au moment où le coup d’envoi du Grrrand Débat NNNNational est donné. Certes, c’est en Normandie qu’Emmanuel Macron a lancé son remue-méninges. Mais causons Dordogne, puisque ce département est particulièrement touché par la vague des Gilets Jaunes.
Le contraire serait surprenant pour ceux qui y vivent, même temporairement : les services publics se raréfient jusqu’à extinction complète dans de larges zones ; même des bourgs importants sont en peine de médecins et surtout n’ayez pas l’étrange idée d’y subir un AVC ou un infarctus ; les écoles se ferment dans de nombreux villages, comme paupières sur les yeux d’un agonisant ; pour se rendre à la poste et au guichet de banque, il faut prendre sa voiture alourdie de taxes et empuantie de diesel.
Air connu, me chanterez-vous. Mais le pouvoir parisien ne l’entend pas, ni de cette oreille ni d’une autre d’ailleurs. Il préfère siffler sa ritournelle intitulée « On ne change pas de cap » même s’il s’agit aujourd’hui pour Jupiter de faire l’empathique. Mais jouer les humbles en escarpins devant des godasses crottées, ça ne marche pas. Ce n’est pas la fadasse missive macronienne qui va bouleverser ce triste état de fait.
Malgré ses appels au secours, Emmanuel Macron ne devra pas compter sur l’aide des maires périgordins. Réunis en assemblée générale de leur union départementale, mercredi 9 janvier à Périgueux, ils se sont montrés « très réservés », à l’égard du vaste remue-méninges hexagonal, comme le signale le site de la radio France Bleu Périgord.
André Laignel – ancien secrétaire d’Etat socialiste, premier magistrat d’Issoudun (Indre) et vice-président de l’Association des maires de France – était l’invité de ses confrères de la Dordogne. Alors que le gouvernement tente de mobiliser les élus locaux pour mener à bien le grand débat, Laignel a renvoyé l’exécutif dans ses 22 mètres (nous sommes en terre de rugby), selon France Bleu Périgord : « C’est un débat entre les citoyens et l’Etat, les maires ne sont pas partie prenante. Bien entendu, si l’on nous demande une salle dans notre commune, nous la mettrons à disposition. Mais en aucun cas – contrairement à ce que laisse croire parfois le gouvernement – nous ne sommes associés à la préparation de ce débat. »
Le maire LR de Neuvic, François Roussel se situe sur la même longueur d’onde, dans les tons plus aigus : « C’est de l’enfumage total ! ». Même du côté macronien, on ne cache guère son désarroi. Ainsi, le maire La République En Marche du ravissant village de Saint-Crépin-de-Richemont se gratte l’occiput. Il va organiser le débat mais trouve l’exercice plutôt ardu : « Les problèmes des Gilets Jaunes, ce sont des problèmes individuels. Pour une commune, c’est difficile d’y répondre».
La revanche des petits maires
Les élus locaux rendent à Emmanuel Macron la monnaie de sa pièce. Outre, qu’il a boudé le congrès des maires de France – une indélicatesse qui laisse des traces – son gouvernement n’a cessé de tondre les communes. Avec la suppression de la taxe d’habitation, il les a privées d’une importante pompe à phynances qui n’a pas été compensée par d’autres ressources ; avec celle des emplois aidés, il a mis fin à de nombreux projets sociaux dans les villages les plus pauvres. Comme les Gilets Jaunes, les maires – ces grognards de la République – se sentent méprisés par la morgue élyséenne.
Depuis cette semaine, le président Macron tente de se rattraper à l’oral en se lançant dans une spectaculaires tournée des mairies, en commençant par celles qui gèrent cette ruralité où poussent les Gilets Jaunes comme jonquilles à l’orée du printemps : mardi 15 janvier à Grand-Bourgtheroulde en Normandie et trois jours plus tard à Souillac (Lot), tout près du site touristique de Rocamadour, chaque fois devant plus de 600 maires. Il s’est livré à un show typiquement macronien qui consiste à emballer son public pendant 6 voire 7 heures, sans s’aider de notes et en noyant dans un flot de paroles chatoyantes ses réponses aux questions souvent rugueuses de ses interlocuteurs en écharpe tricolore.
L’exercice impressionne les médias conventionnels et les élus applaudissent l’acrobate du verbe. Sont-ils convaincus pour autant ? L’avertissement du maire de Saint-Cirgues, Christian Venries, traduit bien la méfiance de ses pairs : « Monsieur le président, j’espère que vous n’êtes pas dans la posture du dites-moi de quoi vous avez besoin, je vous expliquerai comment vous en passer. Vous ne ferez que jeter un bidon d’essence sur un incendie qui n’est pas circonscrit. Rappelez-vous que nous ne jouerons pas les pompiers de service, d’autant plus que l’Etat nous a piqué le camion, la lance à incendie et nous a coupé l’eau ».
La fièvre jaune n’est pas retombée
Quant aux Gilets Jaunes, les propos présidentiels glissent sur eux comme l’averse sur leur chasuble imperméabilisée. Malgré le lancement du Grand Débat national, leur mobilisation dans les rues reste inchangée. Ils étaient encore 84 000, samedi 19 janvier, à battre le pavé des principales villes françaises – même si le mouvement paraît désormais plus ample en province qu’à Paris – Bordeaux et Toulouse étant les métropoles régionales les plus atteintes par la fièvre jaune.
Emmanuel Macron se vantait d’avoir toujours un coup d’avance sur ses adversaires. Mais c’était avant. Avant les Gilets Jaunes. Maintenant, il a systématiquement un coup de retard. Un coup de retard, lorsqu’il abandonne ses taxes sur le carburant au moment où l’insurrection jaune est passée à une contestation plus politique. Un coup de retard, avec son grand débat alors que c’est l’ensemble des institutions de la Ve République qui est aujourd’hui remis en cause, de fond en comble. Non seulement de la part des Gilets Jaunes mais aussi par les deux tiers des Français, selon un sondage Opinion Way.
Langue morte que celle de Macron, disions-nous en commençant ce papier. Langue de communicant qui ne communique plus rien.
Jean-Noël Cuénod
[1]Pour celles et ceux qui lèveraient le nez sur cette célébration carnavelesque, qu’ils sachent que la « Fête des Soufflaculs de Nontron » est inscrite à l’Inventaire du patrimoine culturel immatériel en France. Elle se pratique aussi de l’autre côté de l’Hexagone, à Saint-Claude, dans le Jura français, haut-lieu des maîtres pipiers.