Sommet Biden-Poutine, 35 ans après…

 

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Photo ©Le Dauphiné Libéré.

Une fois de plus, Genève est en état de siège. Et Sa Malgracieuse Majesté Covid XIX n’y peut rien. Ce sont deux coronavirus, d’une autre espèce – variants états-unien et russe– qui ont vidé les rues. L’actuel Sommet Biden-Poutine se dresse, 35 ans après la rencontre entre Reagan et Gorbatchev. Encore jeune journaliste, Le Plouc avait suivi ce Sommet de 1985. Retour sur une illusion d’optique.

Il faisait un froid sibérien ces 19 et 20 novembre. Parfait pour accueillir le nouveau maître de l’Union Soviétique, Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev. Inapproprié pour recevoir le président américain Ronald Reagan, habitué au soleil californien.

« Halt uschtir ! »

La troupe était mobilisée pour assurer la surveillance sur terre, lac et dans l’air. Avec des consignes écrites en phonétique pour les soldats alémaniques : « Halte où je tire » devenant « halt uschtir » « halt uschtir »[1].

Avant la rencontre officielle, Genève vibrionnait de discussions de coulisses entre diplomates et 3500 journalistes avaient déferlé sur la ville prenant leurs marques au CICG (Centre international de conférences à Genève) à un jet de grenade du Palais des Nations. Même si avec le KGB, la CIA, les polices genevoise et fédérale, sans oublier l’armée, l’éventualité d’un jet d’engin explosif n’était guère envisageable. C’était il y a plusieurs siècles, bien avant le 11-Septembre 2001…

La Tribune de Genève avait délégué dix journalistes à plein temps – voilà qui ferait rêver les rédenchefs d’aujourd’hui – pour suivre heure par heure les événement et travailler au sein de la rédaction décentralisée au CICG, sous la sympathique houlette d’Edmée Cuttat. Le Plouc en faisait partie bien qu’encore localier. Mais il faut dire que la locale à Genève peut couvrir toute la planète. « Genève, ce grain de musc qui parfume le monde », avait lancé Capo d’Istria au Congrès de Vienne à l’intention des diplomates de la Sainte-Alliance qui voulait rendre savoyarde la Cité de Calvin…

Offensive de charme des diplomates soviétiques

Autour des machines à café, et à cafter, du CICG les journalistes de tous pays échangeaient leurs impressions.

Un essaim de diplomates russes, tout sourire, n’a pas mis longtemps à trouver ce lieu approprié pour butiner la gent journalistique. Etonnement général : ces hauts-fonctionnaires soviétiques avaient troqué les tristes défroques grisâtres et mal taillées, leur lot vestimentaire jusqu’alors, pour de superbes costumes sur mesure sortant de Savile Row qui devait valoir leur pesant de caviar.

Ces jeunes diplomates avaient déployé toutes les ressources – inépuisables – de leur charme slave pour nous vendre les bienfaits de la Perestroïka, politique de libéralisation lancée par Gorbatchev qui venait d’être élu Secrétaire général du Parti Communiste de l’Union Soviétique après une suite d’apparatchiki au bord de la tombe.

Tout allait changer désormais. Nous n’allions pas reconnaître le vaste et impitoyable pays de Staline. Finis les mensonges d’Etat. Place à la Glanost (transparence). Plus de Goulag et davantage de goulasch. La culture allait fleurir comme durant la NEP[2].

Ces jeunes loups réservaient leurs crocs aux dirigeants moscovites qui venaient d’être mis à la porte et n’occultaient pas les aspects négatifs du régime. Cet abandon – apparent – ­de la langue de bois avait focalisé l’attention sur la délégation soviétique. En comparaison, les émissaires états-uniens paraissaient pâlots.

L’effet Gorbatcheva

Au diapason de ses troupes en pleine offensive de charme, Mikhaïl Gorbatchev était apparu très détendu, souriant et semblait scintiller à des années-lumière de Brejnev. Sa conférence de presse avait été très remarquée par les journalistes. Alors que Le Plouc a gardé de celle de Reagan, l’image d’un président vieillissant, incapable de répondre à une question sans se tourner vers ses collaborateurs qui l’alimentaient en petits papiers que le président déchiffrait après avoir chaussé ses lunettes. Je me souviens d’un mien confrère qui me glissait à l’oreille : « Si on lui demande l’heure, il est foutu de se tourner vers son équipe ! » C’est le Soviétique qui paraissait en phase avec son époque et non l’Etats-unien.

Même impression avec les Premières Dames. La belle et éblouissante Raïssa Gorbatcheva éclipsait une Nancy Reagan, « qui faisait son âge » pour rester dans les limites de la galanterie.

L’écume des communicants

Lorsque tout ce beau monde s’est envolé de Cointrin, au grand soulagement des autorités suisses et genevoises, heureuses que tout se soit bien déroulé, les jeunes diplomates soviétiques avaient remporté la bataille de l’image contre leurs confrères des Etats-Unis. En matière de communication, ces derniers avaient-ils trouvé leur maître ?

Aujourd’hui, l’écume de la communication semble trop souvent avoir pris la lumière au détriment des profonds courants sous-marins.

C’est sans doute le moment de se rappeler le Sommet de 1985. Six ans après cette victoire des communicants soviétiques à Genève, l’URSS sombrait corps et biens, l’empire rouge partait en morceaux, Gorbatchev devenait un simple retraité oublié au bord de l’Histoire.

Tôt ou tard, tombent les écailles du mensonge.

Jean-Noël Cuénod

[1] Le Plouc confond peut-être avec une autre rencontre internationale à Genève ayant Yasser Arafat en vedette. En tout, cas l’anecdote est authentique.

[2] Nouvelle Economie Politique, sorte de capitalisme d’Etat lancé par Lénine en 1921 pour sauver du désastre la jeune URSS après le premier conflit mondial et la guerre civile. Staline l’a abandonnée en 1928.

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