Sale temps pour le statut des statues!

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Les bottes de la statue de Staline abattue lors de l’insurrection de Budapest, en 1956, conservées aujourd’hui à Memento Park dans la capitale hongroise.

Les statues restent de marbre (ou de bronze) face à tous les coronavirus. Mais elles n’échappent pas à l’opprobre. La vague antiraciste – qui déferle sur le globe après le meurtre froidement exécuté à Minneapolis par le flic Chauvin sur George Floyd – ne les épargne pas. «Faut-il abattre des statues?» polémiquent les médias. Et si on se posait plutôt cette question:«Faut-il ériger des statues?»

Le mouvement Black Lives Matter s’attaque à tous les symboles illustrant le racisme, la discrimination, l’esclavage. La dernière victime se nomme Edward Colston qui s’est retrouvé jeté dans la rivière Avon à Bristol. Du moins sa statue, déboulonnée dimanche par des manifestants antiracistes. Les autorités de la cité anglaise l’avaient élevée à la gloire de ce riche commerçant du XVIIIe siècle afin de le remercier de ses généreux bienfaits à l’égard de sa communauté. Qu’il fût marchand d’esclaves ne gênait personne lorsque son monument a été inauguré en 1895. Depuis, bien du sang a coulé sous les ponts de Bristol et d’ailleurs.

Ce sang s’est aussi répandu en août 2017, lorsqu’une contre-manifestante réclamant le déboulonnage de la statue du général sudiste Lee a été tuée par un suprématiste blanc.

Même les statues de Victor Schœlcher

Même des héros que l’on croyait intouchable comme Victor Schœlcher – pourtant, l’un des principaux protagonistes de l’abolition de l’esclavage – sont atteints par ce prurit iconoclaste. Deux siennes statues ont été détruites à la Martinique. Pourquoi ? Pour affirmer par un acte spectaculaire que l’abolition de l’esclavage est due en premier lieu aux révoltes des esclaves noirs bien plus qu’à l’action des abolitionnistes blancs personnifiés par Schœlcher.

Il est indéniable que les combats des esclaves contre leur oppression tiennent une place éminente dans le mouvement qui a abouti à l’abolition. Il est tout aussi indéniable que Victor Schœlcher est l’initiateur du décret du 27 avril 1848 abolissant définitivement l’esclavage sur les territoires français. Les iconoclastes auraient pu réclamer que l’on élevât une statue aux martyrs noirs. Ils ont préféré détruire celles de Schœlcher. C’est plus payant en matière de bruits médiatiques. Sans doute, leur action s’inscrit-elle aussi dans la bataille politique entre indépendantistes et autonomistes en Martinique.

La longue histoire des iconoclastes

La destruction des statues est aussi vieille que le premier monument construit par la main humaine. Personnification des dieux, glorification des Grands Hommes[1], elles ont servi de support à la célébration des idoles et aux cultes de la personnalité. Chaque fois que le dieu récupérait son état d’amas pierreux ou que le Grand Homme voyait sa Grosse Tête dégonfler façon pénis de colibri, leur statue était vouée à la destruction.

Entre les iconoclastes du christianisme byzantin des VIIIe et IXe siècles et protestant des XVIe et XVIIe siècles, Dieu sait s’il y en eût, des statues détruites !

Il le sait tellement, Dieu, qu’Il a dûment averti les humains par le truchement de la Bible, notamment dans Exode XX verset 4 : Tu ne feras pour toi ni sculpture ni toute image de ce qui est dans les ciels en haut, sur la terre en bas, et dans les eaux sous terre ; et verset 5 : Tu ne te prosterneras pas devant elles et ne les servira pas.

Evidemment, l’humain, surtout dans sa version masculine, s’est empressé de ne pas suivre ce sage précepte.

Il existe aujourd’hui des cimetières de statues à Moscou (voir la vidéo) et à Budapest, entre autres. On peut y contempler des tractoristes de Tcheliabinsk, des gymnastes émérites de Sverdlovsk participant à un éternel défilé immobile du 1er Mai sous le regard vide de Lénine et la moustache bronzée de Staline. Les plus antiques momies égyptiennes semblent plus fraîches que ces reliques du bolchévisme.

Saint et salaud

Dès lors, pourquoi s’acharner à élever des statues ? Veut-on célébrer un saint à la vie exemplaire ? Qui nous dit que dans un avenir proche ou lointain, un journaliste ou un historien ne dénichera pas un vilain secret bien gluant ? Désire-t-on commémorer un martyr qui s’est sacrifié pour sa patrie ? Et si l’on découvrait qu’il avait vendu ses camarades ?

L’humain est ainsi fait qu’il n’est pas ange ou démon, il est les deux. Il porte en lui le mal et le bien. Esprit et matière. Dieu et Diable, tour à tour. Bien sûr, certains sont plus enclins au mal et d’autres, au bien, en fonction des tempéraments, des trajectoires personnelles mais aussi des circonstances. Combien de braves types se sont mués en salauds parce qu’ils ont mal choisi leur camp ? Combien de fripouilles, voire de criminels sont-ils morts dans la peau des héros ?

La statue d’Edward Colston, philanthrope et négrier, rouille aujourd’hui au fond de l’Avon et nous pose du fond de sa vase cette question :

Existe-t-il un seul être humain qui vaille d’être érigé en monument ?

Jean-Noël Cuénod
[1] Pour les Grandes Femmes, on repassera. Il n’y en a guère. L’érection, même des statues, reste une fonction masculine ! La moitié de l’humanité figure surtout sous la forme d’allégories : sagesse, agriculture, industrie, voire République avec le généreux buste de Marianne. On veut bien voir les femmes en statues mais à condition qu’elles restent anonymes.

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