Ainsi, la Charte des principes de l’islam de France a-t-elle reçu la bénédiction d’Emmanuel Macron. Pour le président français, ce texte représente «un engagement net, clair et précis en faveur de la République». A première vue, cette Charte semble répondre parfaitement aux attentes présidentielles. Mais à y regarder de plus près, ses fondements paraissent fragiles, voire viciés.
Théoriquement, elle engage les fédérations composant le Conseil français du culte musulman (CFCM) et les imams qui demanderont la certification du futur Conseil national des imams que le CFCM est en train de mettre sur pied.
Toutefois, d’emblée un sacré bémol trouble cette belle symphonie. Si cinq des huit fédérations composant le CFCM ont signé cette charte, trois d’entre elles ont reporté leur paraphe : Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), Confédération islamique Milli Görus (CIMG) et Foi & Pratique.
L’œil d’Ankara
Selon l’interview de Samim Akgönül – directeur du département d’études turques à l’Université de Strasbourg–, paru dans La Croix (lire ici), les motifs du refus opposés par ces trois entités turques concernent notamment la condamnation de l’islam politique et l’arrêt du financement des mosquées par des fonds étrangers.
Ces trois fédérations sont liées très étroitement au gouvernement d’Ankara ; elles servent de relais pour propager la politique nationale-conservatrice d’Erdogan[1] auprès des Turcs musulmans résidant en France.
Si elles ont reporté leur signature, c’est, selon toute vraisemblance, sur ordre du potentat ottomaniaque qui joue actuellement une partie serrée avec le président Macron pour tenter de desserrer l’étau des sanctions économiques ordonnées par l’Union européenne et qui met à mal la Turquie en pleine crise sanitaire.
Il s’agit donc de rappeler au président français qu’Erdogan dispose d’un certain pouvoir de nuisance en France même. Cela démontre d’ailleurs à quel point les organisations musulmanes en Europe restent dépendantes d’Etats totalitaires ou de démocratures comme la Turquie.
Les sujets qui fâchent
Retour vers la Charte proprement dite. Le but d’Emmanuel Macron est d’ancrer au sein de la communauté républicaine la deuxième religion française en nombre de fidèles, notamment après la vague d’attentats islamistes et l’assassinat du professeur Samuel Paty. Jadis et naguère, d’autres décideurs politiques de gauche (Jean-Pierre Chevènement) et de droite (Nicolas Sarkozy) avaient entrepris une semblable démarche et s’y étaient cassés les dents.
En surface, les éléments positifs semblent abonder dans ce texte visiblement rédigé pour complaire aux souhaits de l’Elysée (lire le texte intégral de la Charte ici). En effet, aucun sujet qui fâche n’a été éludé, notamment les trois pierres noires d’achoppement, à savoir l’égalité entre les genres, l’apostasie (soit l’interdiction de quitter la religion musulmane) et le rejet de l’islam politique.
Sur le premier point, l’article 4 de la Charte stipule : « les signataires s’engagent (…) à faire respecter ce principe à travers l’ensemble de leurs activités cultuelles (…) L’égalité Femme-Homme est un principe fondamental également attesté par le texte coranique ; les hommes sont issus d’une même essence ou âme originelle ». A propos de ce dernier membre de phrase, on pourrait ergoter sur l’emploi du mot « hommes » à la place d’« êtres humains ». Mais ne chipotons pas.
Apostasie et islam politique
Sur le deuxième point, l’article 3 est fort explicite : « les signataires s’engagent à ne pas criminaliser un renoncement à l’islam, ni à le qualifier d’ « apostasie » (ridda), encore moins de stigmatiser ou d’appeler de manière directe ou indirecte, à attenter à l’intégrité physique ou morale de celles ou de ceux qui renoncent à une religion. Cela traduit un respect de toutes les opinions et de toutes les expressions admises par la loi et surtout un principe républicain essentiel, la liberté de conscience ».
Sur le troisième point, même clarté à l’article 6 : « les signataires s’engagent donc à refuser de s’inscrire dans une quelconque démarche faisant la promotion de ce qui est connu sous l’appellation islam politique ». Et pour être bien certain de savoir de quoi et de qui l’on parle, la Charte ajoute cet appel de note : « par islam politique, la présente charte désigne les courants politiques et/ou idéologiques appelés communément salafisme (wahhabisme), le Tabligh ainsi que ceux liés à la pensée des Frères musulmans et des courants nationalistes qui s’y rattachent. »
« La pression immense » d’Emmanuel Macron
C’est presque trop beau pour être vrai ! Même l’une des principales fédérations du CFCM, les Musulmans de France, l’ex-UOIF très liée aux… Frères musulmans, a accepté de signer.
Emmanuel Macron ne s’est pas caché de mettre une « pression immense » sur les autorités religieuses musulmanes pour qu’elles rédigent et signent une charte conforme aux principes républicains. Elles se sont donc mises aux ordres, sauf les trois fédérations turques qui, elles, sont aussi aux ordres, mais d’Erdogan !
Si l’on gratte, ne serait-ce que d’un ongle léger, le brillant vernis de cette Charte, on remarque aussitôt qu’elle est bien vermoulue.
Tout d’abord, cet engagement est vicié à sa base. Il ne constitue pas l’expression des musulmans français par le truchement de leurs institutions. Elle reste avant tout le fruit de la volonté politique du président de la République. Or, cette démarche est contraire aux principes de la laïcité qui interdit à l’Etat de s’occuper de l’organisation des cultes et de la bonne marche des églises, mosquées, synagogues ou pagodes. Elle est surtout contre-productive.
Perçu comme un oukase venu de l’extérieur, cet engagement… n’engagera pas grand-monde au sein des musulmans français. Le processus d’élaboration du droit coranique passe par de multiples canaux dont celui des docteurs de la loi, aux dénominations diverses selon les traditions. Docteurs qui ne sont pas forcément d’accord entre eux (comme tous les docteurs) ! Ce ne sont même pas les sultans qui disent le droit en islam, alors encore moins un président non-musulman.
Aucun effet à attendre contre le terrorisme
La Charte fait aussi entrevoir des lacunes par lesquelles il sera facile de se glisser. Par exemple, elle encourage l’arrêt des financements étrangers des mosquées mais sans les proscrire clairement.
D’une manière générale, la grande majorité des musulmans français n’ont aucunement besoin de cette Charte dans la mesure où ils respectent les principes républicains. Pour les minorités intégristes, elle n’aura aucun effet puisque suscitée par un Etat considéré par elles comme kâfir (incroyant).
Quant à l’extrême minorité islamoterroriste, cette Charte sur un toit brûlant sera perçue comme la marque de la « traîtrise » des organisations de l’islam officiel ; elle risque d’y trouver un prétexte nouveau pour passer à l’acte.
Contre le terrorisme, ce sont les moyens mis à la disposition des organes de renseignement, de police et de justice qui font la différence et non pas un bout de papier.
De toute cette opération médiatique, Emmanuel Macron sera sans doute, à court terme, le seul gagnant.
Jean-Noël Cuénod
[1] Le Comité de coordination des musulmans turcs de France est intégré à la branche française du Diyanet, le puissant ministère des affaires religieuses qui est tenu d’une main d’acier par Erdogan.
La charte sur un toit brûlant! Humour du dimanche certes, mais n’oublions pas que l’humour est le système immunitaire de l’esprit
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