Edouard Philippe, à quoi peut-il bien servir ?

france-edouard-philippe-emmanuel-macronQuatorze mois de giletjaunisse, record battu de la plus longue grève des transports en France, réforme des retraites placée sous le signe de l’amateurisme, avalanche de crises non résolues, notamment dans le secteur de la santé en pleine perdition…Mais à quoi peut bien servir Edouard Philippe ? Eh bien, pas même de fusible !Il a beau n’être consultatif, l’avis assassin du Conseil d’Etat[1] sur la réforme des retraites souligne la façon effroyablement brouillonne dont le gouvernement d’Edouard Philippe a mené son affaire (l’avis du Conseil d’Etat français est disponible ici). Après une première mouture jugée « insuffisante » par les hauts magistrats administratifs, la seconde n’est guère plus satisfaisante puisque « les projections financières restent lacunaires ». Le recours compulsif aux ordonnances (vingt-neuf !) a, disent les magistrats, « fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme (…) ».

Les conseillers d’Etat en rajoutent une couche épaisse en réclamant « une meilleure estimation de l’évolution des situations individuelles des assurés et des employeurs avant et après la réforme ».

Gribouille au pouvoir !

En outre, le Conseil d’Etat sous-entend que le gouvernement s’est payé sa tête en ne lui laissant que trois semaines pour examiner cette réforme divisée en deux projets de loi. Et encore, durant ce court examen, l’exécutif a-t-il modifié à six reprises le texte confié aux conseillers ! C’est Gribouille au pouvoir, alors qu’il s’agit, note le Conseil d’Etat, d’une « réforme inédite depuis 1945 et destinées à transformer pour les décennies à venir (…), l’une des composantes majeures du contrat social ».

Pourtant, cela fait un bon moment que le gouvernement cogite cette réforme. C’est en septembre 2017 déjà, que le président Macron avait nommé haut-commissaire Jean-Paul Delevoye pour qu’il prépare la refonte générale des systèmes de retraite. Passons sur une autre marque d’amateurisme, à savoir la démission, le 16 décembre dernier, dudit haut-commissaire qui avait malencontreusement oublié de déclarer une dizaine de mandats à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Après trois ans de préparation de cette réforme, les Français ne savent toujours pas à quelle sauce ils seront mangés durant leurs vieux jours. Trois ans durant lesquels ils auront assisté, ébahis, à une série de rétropédalages, de sorties de routes et de déclarations contradictoires au plus haut niveau. Résultat : une réforme de prime abord populaire a été transformée en un projet illisible et rejeté à 53% des personnes interrogées lors d’un sondage élaboré par Elabe pour BFMTV (6 janvier dernier).

Cette accumulation de maladresses a provoqué cinquante jours de grève des transports, des arrêts de travail dans l’enseignement, à l’Opéra notamment, ainsi que des manifs quasi-quotidiennes entraînant une violence croissante dans les affrontements entre protestataires et forces de l’ordre.

A ce propos, le gouvernement voit sa stratégie de la répression des désordres sur la voie publique être, elle aussi, de plus en plus contestée, même au sein des corps de police et de gendarmerie. La réponse du ministre de l’Intérieur Castaner est à la hauteur du caractère pipotier de la communication gouvernementale : il interdit désormais, pour disperser les manifestants, de recourir aux grenades GLI-F4. Or, le Canard Enchaîné révèle dans sa dernière livraison que ce modèle n’est plus en service ! Il s’agit d’un exemple parmi d’autres de ces déclarations gouvernementales qui sentent l’arnaque à plein nez. Et la liste des bévues gouvernementale pourrait encore s’allonger.

Mon fusible ! Où est mon fusible ?

En temps normal, devant une telle situation, le président de la République fait sauter son fusible primo-ministériel. Après tout, l’éjection fait partie intégrante du destin d’un chef du gouvernement. Edouard Philippe se représente à la mairie du Havre. Voilà une belle occasion de quitter Matignon la tête haute. Que nenni ! Le premier ministre ajoute que, même élu maire, il restera premier ministre en cédant la magistrature havraise à un colistier.

C’est qu’Edouard Philippe, s’il dirige son gouvernement d’une main hasardeuse, présente cette particularité rarissime pour un premier-ministre d’être inutilisable comme fusible.

En effet, aucune pancarte de manifestant ne l’injurie ou le caricature. Pas un slogan ne le traine dans l’hostilité. Personne ne le conspue, le hue, le houspille. Toute l’indignation, la réprobation, voire la haine se focalisent sur une seule tête que d’aucuns rêvent de planter au bout d’une pique : Emmanuel Macron.

Dès lors, même si Edouard Philippe est bouté hors de Matignon, cela ne changera en rien l’impopularité du président de la République.

Jupiter à terre

En n’ayant promu que sa seule personne pour conquérir l’Elysée, Macron paye aujourd’hui cet exploit accomplit en solitaire. Certes, il y a disposé d’une armée de petites mains, nommées « Helpers », pour battre sa campagne et de quelques caciques de gauche et de droite attirés par l’irrésistible fumet du pouvoir. Mais tous n’étaient au service que d’un homme et non pas d’un appareil politique comme naguère et jadis. Par conséquent, il concentre aujourd’hui tous les coups sur lui seul.

Il avait promis de se tenir en retrait pour, justement, qu’Edouard Philippe et ses ministres prennent leur part de gnons. La situation nous ramenait à la scène des Tontons Flingueurs où Raoul Volfoni (incarné par Bernard Blier), ayant assez de recevoir régulièrement un direct de Lino Ventura, se tourne vers son frère (Jean Lefebvre) pour l’inviter à ouvrir la porte à un Tonton Lino prêt à cogner une fois de plus (voir vidéo).

Peine perdue. Incapable de juguler la giletjaunisse, Emmanuel Macron a dû sortir de sa réserve façon chef Indien pour mener en vedette unique le Grand Débat National. Et depuis, le voilà obligé de plonger les mains dans le cambouis des problèmes quotidiens au lieu de se pavaner dans la cour des grands de ce monde.

Malgré tout, autant garder Edouard Philippe dont la présence rassure une partie importante du seul électorat qui intéresse Macron : celui de la droite de gouvernement. Et puis, le premier ministres connaît les rouages administratifs et il a la qualité de son défaut : au moins ne fait-il pas d’ombre à ce Jupiter ramené sur terre.

Jean-Noël Cuénod

[1] Avis aux lecteurs suisses : prière de ne pas confondre ce Conseil d’Etat avec celui qui désigne le gouvernement dans plusieurs de nos cantons. En France, cet intitulé est réservé à la plus haute juridiction administrative du pays.

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