Agriculteurs en colère: un Mai-68 en janvier 24?

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Le bio n’est pas forcément cher ©JNC_Beaurecueil-Forge de la Poésie

« Etre prêt à payer un litre de Cola à 1,40 € alors que l’on trouve le lait trop cher à 1 €, c’est peut-être ça le début du problème ». Ce commentaire tourne actuellement sur Face-Book. Il touche juste. C’est bien de soutenir les paysans en colère. Ce serait encore mieux de payer leur travail au juste prix, surtout s’ils fournissent l’effort de cultiver en bio.

Les paysans d’Europe – et ceux de France qui tractorisent actuellement vers Paris – connaîtraient-ils en janvier 24 leur Mai-68? En tout cas, au-delà des questions de prix du gasoil agricole ou de normes environnementales, c’est le revenu du paysan qui est avant tout en cause et, au-delà, un radical changement de société.

Les regards se braquent, tout d’abord, vers la grande distribution alimentaire dont le bras-de-fer avec les exploitants agricoles tourne souvent en faveur des hypertrucs, mégachoses et autres supermachins par un effet mécanique.

Liberté, fraternité, Egalim…

La France compte seulement quatre grandes centrales d’achat; elles peuvent ainsi aisément s’entendre pour dicter leurs conditions aux 490 000 agriculteurs français, aux 17 500 PME de l’agroalimentaire de l’Hexagone, voire dans une moindre mesure à la centaine de grands fournisseurs internationaux (chiffres cités par Ouest-France).

Pour tenter d’enrayer ce mécanisme, le parlement français a voté trois lois dites « Egalim » entre 2018 et 2023. Mais la Chaîne Public Sénat souligne que « leur application est encore insuffisante ». De plus, la sénatrice centriste Anne-Catherine Loisier s’inquiète du développement des propres marques des distributeurs:

La frontière entre fabricants et grande distribution s’amenuise. À terme, le risque c’est de voir la grande distribution s’émanciper totalement des fournisseurs traditionnels. Ce jour-là, nous serons pieds et poings liés.

Du consommateur au « consommacteur »

Dans cette présentation sommaire manque un acteur de taille: le consommateur qui subit, en grognant certes mais passivement, les hausses de prix tout en essayant de décrocher les prix les moins élevés quitte à sacrifier la qualité, la quantité et la provenance locale.

Il pourrait passer de consommateur à « consommacteur », pour reprendre une formule qui court sur la Toile, en achetant directement à la ferme et sur les marchés de producteurs.

Hélas, tout le monde n’a pas la chance de vivre dans l’un des nombreux pays de Cocagne de la province française – un paradis pas si désert que cela, au demeurant.

Il y a pourtant moyen de se fournir en légumes et fruits bio en circuit court tout en habitant Paris, sa banlieue ou une métropole régionale, notamment grâce aux réseaux de l’AMAP (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne) dont ActuEnvironnement.com donne cette définition:

(…) Un partenariat entre un groupe de consommateurs et une ferme, basé sur un système de distribution de « paniers » composés des produits de la ferme. C’est un contrat solidaire, basé sur un engagement financier des consommateurs, qui payent à l’avance une part de la production sur une période définie par le type de production et le lieu géographique.

Les AMAP sont pour le paysan, le maintien de l’activité agricole par la garantie de revenu, pour le consommateur, des aliments frais, de saison, souvent biologiques, produits à partir de variétés végétales ou races animales de terroir ou anciennes et un prix équitable pour les deux partenaires.

Le bio local n’est pas forcément plus cher

Prix équitables qui peuvent d’ailleurs être moins chers qu’en supermarché. Le bio et le local est souvent moins coûteux que ne le prétendent les porte-babils de l’agrobusiness.

Il est vrai toutefois que pour des familles qui vivent sous le seuil de la pauvreté, s’alimenter coûte cher, bio ou pas bio.

Cela dit, les bonnes idées ne manquent pas en France, il suffit de creuser un peu. Même si ces idées sont tout sauf promues par les gros médias et la classe politique.

Carte vitale d’alimentation

Il en va ainsi de la Carte Vitale d’Alimentation sur le modèle de la Carte Vitale en matière de frais médicaux. Ce projet est proposé par le Collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation. Cette Carte Vitale alimentaire donnerait accès à des produits conventionnés pour un montant de 150 euros par mois.

A l’exemple de la Sécurité sociale, ce conventionnement serait effectués par des caisses gérées démocratiquement et financé « par la création d’une cotisation sociale à taux unique sur la production réelle de valeur ajoutée ».

A toutes ces excellentes idées, il y a un bémol bien sonore: elles demandent un changement de société. Or, de ce changement, les gros médias, les puissantes coalitions d’intérêts de l’agrobusiness et la classe politique qui les suit par appétit électoral n’en veulent pas. D’où les propositions actuelles du gouvernement Attal qui se perdent en détails techniques pour éviter d’affronter les questions de fond.

Mais sans changement radical de paradigme, la société continuera à foncer sur les mêmes écueils.

L’aspect culturel de la malbouffe

Si chacune, chacun, d’entre nous devient un « consommacteur » alors cette mutation sera possible. Mais pour ce faire, on ne saurait ignorer l’aspect culturel de la malbouffe, coûteuse en fin de compte.

Avez-vous remarqué dans les séries américaines ou leurs succédanés européens, comment les personnages se nourrissent? Ou plutôt bâfrent d’infâmes nouilles chinoises que l’on imagine tièdes et glauques ou alors de ces hamburgers dégoulinant de graisses qui sont à la gastronomie ce que Cyrille Hanouna est à l’élégance morale.

C’est tout un mode de vie (ou de survie) étatsunien qui est ainsi instillé dans l’esprit des téléspectateurs du monde entier. On ne mange pas, on fait le plein comme un poids lourd enfourne son fioule, à n’importe quel moment de la journée; c’est la jauge qui décide. Pas de gourmandise, pas de plaisir de la conversation, pas de partage.

Ciao Americain nightmare!

Le message de ces séries: manger n’est pas important. On n’y fait que perdre son temps. Allez bosser, bande de feignants au lieu de vous goberger!

Intoxiqué, le téléspectateur est alors induit à glisser un plat préparé bien malsain dans son micro-onde avant de poursuivre sa série où les héros ont depuis longtemps jeté à la poubelle leurs cartons de nouille et leurs emballages maculés de gras.

Eh oui, il faudra aussi porter le combat alimentaire sur le terrain culturel… Ciao American nightmare!

Jean-Noël Cuénod

3 réflexions sur « Agriculteurs en colère: un Mai-68 en janvier 24? »

  1. Tout d’abord merci pour vos excellents papiers.
    Oui, vous avez raison, il faudrait un changement radical de société. Le problème c’est qu’il impliquerait probablement une augmentation considérable de la part du revenu consacré à l’alimentation. De 15% aujourd’hui elle pourrait bien grimper au-delà des 20 %, soit un retour en arrière, en 1960 elle était de 30%. Quel homme politique oserait une telle proposition. Attal le sait bien, comme vous le dites, son discours ne s’attaque guère au problème de fond. Et pourtant, çà devrait être le rôle d’un chef d’état.

    Le Bio moins cher, je ne connais pas. Dans ma ville, les 3 magasins qui les vendent pratiquent des prix pas vraiment accessibles à tout le monde. Ils font plutôt fuir.

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