Victoire d’Erdogan et défaite de la laïcité

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Après la victoire d’Erdogan aux élections législatives turques, la chose la plus surprenante est… la surprise des médias ! Une fois de plus, ils ont donné foi aux sondages qui ont remplacé les horoscopes dans la pensée journalistique. Avec la même efficacité ; si, un jour ou l’autre, il leur arrive de ne pas se tromper pas, c’est surtout grâce à un heureux concours de circonstances.

Comment l’AKP du président Recep Tayyip Erdogan pouvait-il ne pas emporter ces élections ? Presse muselée, journalistes sous menaces permanentes, opposition empêchée de tenir ses meetings, stratégie de la peur du gouvernement… La liste des pressions exercées par le pouvoir islamo-conservateur est longue.

Mais avait-il besoin de cela pour triompher ? Chaque fois qu’un pays se trouve dans une situation de conflit à ses frontières, le peuple préfère ne pas changer de chef, ne serait-ce que pour éviter les périodes de transition à un moment où des décisions de guerre doivent être prises. En outre, son parti AKP demeure très implanté dans la « Turquie profonde », celle des campagnes, mais aussi auprès d’une partie des classes moyennes qui se sont enrichies sous Erdogan.

Les médias européens ont cru que les délires ottomaniaques d’Erdogan (photo)– qui s’est fait construire à Ankara un palais de 200 000 m2 à 350 millions de dollars – et ses exactions répétées contre la presse allaient nuire à son parti. Or, ces pratiques ne révulsent que la partie la plus occidentalisée de l’électorat turc– celle qui a l’oreille des médias européens. Et elle est loin de former la majorité. Les autres électeurs, soit n’y prêtent pas attention, soit y voient l’exercice rassurant d’un pouvoir autoritaire et protecteur.

En fait, la Turquie d’Erdogan suit l’exemple de la Russie version Poutine en instaurant à son tour une « démocrature ». Le pouvoir consulte le peuple – après conditionnement préalable de façon à éviter les mauvaises surprises – afin de lui extorquer un mandat en blanc qui permettra au clan au pouvoir d’imposer sa politique sous un léger verni démocratique. La poutinification est appelée à se répandre sur la planète.

 Un sale coup contre la laïcité

Depuis treize ans qu’ils sont aux affaires, Erdogan et l’AKP ont entrepris « un lent et raisonné dérèglement » de la laïcité en Turquie. Sur les ruines de l’empire ottoman, Mustafa Kemal Atatürk avait fondé la Turquie moderne en séparant l’islam du pouvoir politique et en supprimant en 1924 le califat, institution qui réunissait dans les mains de l’empereur ottoman, les pouvoirs spirituel et temporel de l’islam dont il était le garant de l’unité en tant que successeur (calife en arabe) du prophète Mohammed. En autorisant le port du voile islamique dans les lieux publics et au parlement, en combattant la mixité dans les logements universitaires, en faisant la promotion du turc ancien, en augmentant le nombre d’écoles confessionnelles, en restreignant les vente d’alcool, Erdogan a, progressivement, changé la Turquie pour la ramener vers l’Orient et l’éloigner de l’Occident.

Dans ses rêves plus ou moins avoués, le président turc souhaiterait retourner à ce califat qui a assuré à la Turquie sa domination sur le Moyen-Orient pendant des siècles. Sur ce plan, au moins, il partage la vision « califale » de l’Etat Islamique ; pour lui Daech est plus un concurrent qu’un ennemi… Ah, devenir Calife à la place du Calife autoproclamé al-Baghdadi !

En attendant de s’enturbanner tout à fait, Recep Tayyip Erdogan a désormais les mains encore plus libres qu’auparavant pour intensifier ses manœuvres d’étranglement contre ce qui reste de laïcité dans son pays.

Jean-Noël Cuénod

1 réflexion sur « Victoire d’Erdogan et défaite de la laïcité »

  1. En realite, les joutes oratoires a propos des questions nationales ont essentiellement tourne autour de la guerre en Syrie, meme si personne ne le reconnait. Ceci, parce que la defaite militaire des islamistes en Syrie et leur recul politique en Turquie conduiraient a leur relegation au sein de partis complementaires transformes en decorations democratiques ou en ombres froides au sein d’un long hiver.

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