Duplique à la réplique de Hani Ramadan : la laïcité et les laïcités

00469319172

S’il est des polémiques vaines, il n’y a jamais de débats inutiles. Réagissant au texte que j’avais publié (« Islam et laïcité, l’insoluble solubilité » du 19 février 2016) à propos de sa tribune libre dans Le Temps, Hani Ramadan a répliqué courtoisement en postant un commentaire[1]. Il y exprime sa foi ; je ne saurais la contester, dans la mesure où il respecte la mienne, celle des autres et l’absence de foi des athées. Toutefois, je préciserai deux point qui ressortent de sa réplique.

Premier point. Hani Ramadan cherche à me mettre en contradiction avec moi-même lorsque je soutenais qu’il n’y a pas de laïcité ouverte ou fermée mais la laïcité tout court, alors que le rapport de la commission que j’avais présidée à la demande du Conseil d’Etat genevois énumère différentes pratiques de la laïcité. Mon contradicteur me permet de remettre, si j’ose dire, la maison laïque au milieu du village et de dissiper les brumes sans doute causées par une mauvaise formulation de ma part.

Il faut distinguer les principes de base qui fondent la laïcité de leur application. La laïcité repose sur deux socles : d’une part, la séparation des institutions religieuses et de l’Etat ; d’autre part, le respect de la liberté de conscience. Si l’un vient à manquer, il n’y a pas de laïcité. Par exemple, la liberté de conscience règne en Angleterre mais ce Royaume n’est pas laïque pour autant puisque son chef d’Etat est également celui de l’Eglise anglicane. Dans l’autre sens, les pays de modèle stalinien excluent la religion de la sphère politique mais rejettent la liberté de conscience. Par conséquent, ils ne sauraient sérieusement se prétendre laïques.

En revanche, il y a pluralité d’application de ce principe, en fonction de l’Histoire, des mœurs, des traditions, de la composition sociale de chaque contrée. En sens, l’application de la laïcité ne sera pas identique en France et à Genève. Chez notre voisin, elle fut le moyen choisi par la République pour asseoir définitivement la démocratie vis-à-vis des milieux monarchistes qui recevaient le soutien actif de l’Eglise catholique. A Genève, la laïcité a permis de sortir l’Etat de l’antagonisme entre protestants et catholiques. Ces deux démarches distinctes ne pouvaient donner que des applications différentes à un même principe.

En résumé : la laïcité, comme principe, est une mais son application est multiple.

Second point. Hani Ramadan affirme dans sa réplique (…) le Coran ne pose aucun problème d’authenticité. Il a été préservé intégralement : nous en conservons la lettre, sans en oublier l’esprit, et bien entendu, nous tenons compte du contexte dans lequel il a été révélé. Mais chaque mot du Coran est la parole même de Dieu.

Dans l’esprit de M. Ramadan, il y aurait supériorité du Coran sur la Bible puisque lui seul est issu directement de la parole de Dieu. Notons d’emblée que cette disposition d’esprit nuit au dialogue entre musulmans et non musulmans. Comment entamer un rapport sérieux et honnête si l’on est persuadé d’avoir pour référence la parole divine en direct ? Dans cette optique, les autres ne sont que des êtres errant dans l’erreur, des brebis égarées qu’il convient d’amener à la seule Vérité, celle que Mon Livre détient. Tant que cette mentalité prévaudra chez les porte-paroles de l’Islam, le dialogue sera bien difficile, sinon impossible, à développer.

De plus, lorsque Hani Ramadan affirme que le Coran ne pose aucun problème d’authenticité, il va vite en besogne. En consultant le site musulman islamreligion.com, on se rend compte que l’élaboration du Livre s’est révélée aussi longue qu’ardue :

 (…) A la mort du Prophète, des parties du Coran se trouvaient chez plusieurs membres de la communauté.  Certains ne possédaient que quelques pages, qu’ils utilisaient pour apprendre à réciter, tandis que d’autres, comme les scribes, avaient plusieurs sourates en leur possession.  Et d’autres, encore, ne possédaient qu’un morceau d’écorce ou de peau animale sur lequel n’était inscrit qu’un seul verset. À l’époque du califat d’Abou Bakr, qui fut le premier calife après la mort de Mohammed, la grande communauté musulmane se retrouva en situation de désordre civil.  De faux prophètes apparurent et plusieurs personnes perplexes et égarées, incapables de maintenir leur foi en l’absence de Mohammed, abandonnèrent l’islam.  Des batailles et des échauffourées eurent lieu et plusieurs des hommes qui avaient mémorisé le Coran y laissèrent leur vie.

Abou Bakr craignait que le Coran ne se perde, alors il consulta certains des compagnons de longue date sur l’idée d’une compilation des versets en un seul livre.  Il demanda à Zaïd ibn Thabit de superviser le tout.  Au début, Zaïd se sentit mal à l’idée de faire une chose qui n’avait pas été autorisée par le Prophète lui-même. Il accepta néanmoins de rassembler les divers manuscrits et d’aller voir ceux et celles qui avaient mémorisé le Coran pour former une compilation, le moushaf. 

Islamreligion.com ne doute pas un seul instant que le Coran soit la parole de Dieu dans sa pureté, Néanmoins, il ne dissimule pas les vicissitudes qui ont présidé à la fixation définitive du texte coranique. Dès lors, affirmer que le Coran est parole directe de Dieu est un argument d’autorité, nullement démontrable. C’est un acte de foi et comme tel il est respectable, dans la mesure où l’on ne cherche pas à l’imposer par la contrainte. De même, croire dans la double nature, divine et humaine, du Christ est un acte de foi, tout comme le fait de nier l’existence de Dieu en est un.

En énonçant cela, on subit aussitôt le reproche de sombrer dans le relativisme et le «tout se vaut». Comment trouver du goût à cette soupe tiède ? En lui mettant son grain de sel personnel.

Je peux être animé par la foi en cet élan vital que les humains nomment de mille noms différents. Ma vie sera peut-être épanouie, enrichie par cette effusion poétique, par ce goût de l’absolu qui vient du cœur. Il est légitime de vouloir partager cette foi, de l’exposer. Mais dès que l’on cherche à l’imposer, Dieu devient odieux.

L’absolu est dans le cœur. Dès qu’il en sort, il devient toxique comme ces bactéries qui sont bénéfiques en restant dans leurs organes d’origine mais deviennent mortifères lorsqu’elles s’installent dans d’autres parties du corps.

N’oublions jamais que, quelque soit l’idéal qui nous meut, nous ne sommes que des passants myopes qui tentent de se frayer un chemin dans ce monde relatif.

Se prendre au sérieux est le seul péché mortel.

Jean-Noël Cuénod

[1] http://www.jncuenod.com ou http://www.jncuenod.blog.tdg.ch

2 réflexions sur « Duplique à la réplique de Hani Ramadan : la laïcité et les laïcités »

  1. Chapeau pour la pertinence et l’éloquence de la  »réplique » au Professeur Ramadan…….réplique qui nous donne deux éléments précieux pour cerner deux failles importantes quant à la croyance d’un rapport direct du prophète avec Dieu , mais qui donne aussi à nos amis musulmans deux directions de travail vers une réforme de l’Islam dans le sens d’une adaptation apaisée et non prosélyte à la modernité……étape qui me semble déjà presque accomplie par certains pays de l’Afrique de l’Ouest……..

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *