Le débat politique français se joue à 11 et à la fin, c’est Mélenchon qui gagne, comme ne l’avait pas tout à fait dit sous cette forme l’attaquant anglais Gary Lineker à propos du foot. L’Insoumis numéro 1 sait jouer sur tous les registres : anguleux lors du premier débat avec les cinq favoris, plus rond dans le second avec l’ensemble des candidats. En revanche, Marine Le Pen a passé une très mauvaise nuit, de mardi à mercredi, lors du marathon politique organisé sur la TNT.
Après deux débats de formes très différentes, sa faiblesse apparaît criante. Dans cet exercice, elle s’est montrée beaucoup moins redoutable que son père. Sur le fond, son argumentation est d’une pauvreté affligeante et réduit tout à son obsession des frontières. Sur la forme, elle a reçu des gifles retentissantes de la part de Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron, sans être capable de leur apporter une réplique cinglante. Nous n’avons vu qu’une harengère recourant à la hargne faute d’esprit.
Quant à Philippe Poutou, trotskyste tendance Marcel, il lui a porté une estocade qui fera mal à la Blonde Nationale pendant longtemps : « Pour nous, quand nous sommes convoqués, il n’y a pas d’immunité ouvrière», rappelant qu’elle avait excipé de son statut politique pour ne pas répondre à la convocation de la police qui voulait l’interroger sur les emplois fictifs du Front national. Se faire ainsi moucher par un authentique ouvrier lorsqu’on se prétend reine des prolos, ça la fout mal !
Marine Le Pen contre Philippe Poutou
Cette « immunité ouvrière » risque fort d’être la formule qui restera de cette campagne présidentielle comme le « pédalo » attribué par Jean-Luc Mélenchon à François Hollande en 2012 ou « l’homme du passif » collé par François Mitterrand à Valéry Giscard d’Estaing en 1981 ou le « vous n’avez pas le monopole du cœur » de 1974, avec les mêmes protagonistes mais en sens inverse.
L’autre souci de Marine Le Pen a été causé par les deux candidats antieuropéens de seconde division médiatique (ceux que les médias nomment « petits candidats ») : Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau. Certes, le premier chasse surtout sur les terres cathos-loden de François Fillon, comme l’a d’ailleurs prouvé la prise de bec entre les deux hommes. Mais son europhobie pour quartiers chics peut drainer quelques suffrages de déçus de Fillon qui auraient pu être tentés de voter Marine en se pinçant le nez. Quant au second, Asselineau, il se présente comme « l’homme du Frexit » et offre l’image de l’europhobie tranquille. Avec son allure de notaire de province sortant des mains d’un coiffeur pressé, il prône un Frexit pépère mais déterminé, alors que Marine Le Pen paraît hésitante quant à la sortie de l’euro et de l’Union (elle s’en remet au référendum). De plus, contrairement à elle, Asselineau connaît ses dossiers.
Les sondages le donnent à… 0% d’intention de votes. Toutefois, me déplaçant souvent en France, j’ai aperçu de nombreuses affiches « Asselineau » à Paris et sa banlieue, Lille, Angoulême, Annemasse, Marseille. Il ne manque donc pas de petites mains militantes, malgré la sonorité un peu ringarde du nom de son parti, l’UPR (Union populaire républicaine) qui semble sorti tout droit d’un Musée du Gaullisme. Sa prestation face à la candidate frontiste peut ôter à celle-ci quelques voix europhobes.
Cela dit, de tous les candidats, Marine Le Pen est celle qui dispose du socle électoral le plus solide. Ceux qui disent voter Le Pen affirment être sûrs de leur choix. Qu’elle soit bonne ou mauvaise, mise en examen ou non n’a, pour eux guère d’importance. Ils ont le vote fanatique. C’est peut-être suffisant pour parvenir au second tour, mais cela ne l’est pas pour gagner. Dès lors, le Front national version Marine continuera à n’être qu’un parti de premier tour si elle ne réussit pas à sortir de sa cage électorale.
Elle est parvenue à ce point où la grande gueule ne suffit plus pour décrocher les plus hautes fonctions. Il faut aussi un gros cerveau.
Jean-Noël Cuénod