S’encoubler… Voilà un verbe tiré de l’arpitan[1]qu’Emmanuel Macron ferait bien d’intégrer dans sa nov’langue. Il signifie: se prendre les pieds dans quelque chose qui se trouve par terre. Alors que le président français se rend aujourd’hui à Bruxelles pour le sommet européen sur la migration, il s’est donc encoublé dans sa stratégie du «en même temps». Ni à gauche ni à droite, les deux en même temps… Macron est parvenu à l’Elysée grâce à cette démarche chaloupée et oxymorique. Il a donc voulu la reprendre pour tenter de gérer l’ingérable question des migrants. Ingérable, dans la mesure où la réalité est estompée par les fumées âcre et épaisse des fantasmes de tous ordres, voire de tous désordres.
A gauche : j’incrimine l’extrême droite au pouvoir en Italie en traitant le nouveau gouvernement transalpin d’ «irresponsable» et de «cynique» après son refus d’accueillir les réfugiés embarqués dans le bateau Aquarius. A droite : je jette l’opprobre sur l’ONG allemande Lifeline en l’accusant «de faire le jeu des passeurs» et en concluant ainsi ma diatribe : «C’est d’un cynisme absolu!»
Permettez cet aparté: Macron utilise le même qualificatif insultant – «cynique»! – pour fustiger le gouvernement italien et l’ONG allemande. Le président français maîtrise trop son verbe pour que cet emploi soit dû au hasard ou à la pauvreté lexicale. Emmanuel Macron n’est pas Nicolas Sarkozy. Il s’agit donc bien de renvoyer dos-à-dos l’extrême droite italienne qui rejette les réfugiés et l’organisation humanitaire qui vient à leur secours. L’objectif : se placer au centre, comme figure morale (salut la gauche) et rationnelle (bonjour la droite). Cela dit, on peut se demander si cette démarche n’est pas, elle aussi, cynique !
Mais en faisant l’habile, le président jupitérien s’est encoublé dans ses foudres. Le démagogiste Matteo Salvini, ministre ligard de l’Intérieur, n’a eu aucune peine pour lui répliquer que l’Italie avait accueilli bien plus de migrants que la France. Paris est d’autant plus mal placé pour faire la leçon que l’extrême droite transalpine a été portée au pouvoir, en grande partie à cause du manque de solidarité des pays européens (exceptée l’Allemagne) dans la prise en charge des migrants échoués sur les rives italiennes.
De l’autre côté, la réplique de l’ONG aux accusations d’Emmanuel Macron est tout aussi cinglante : «Aurions-nous dû laisser se noyer les migrants?» A cynique, cynique et demi.
Emmanuel Macron veut défendre le droit d’asile tout en verrouillant énergiquement ses frontières. Un choix aussi ambigu n’aurait été soutenable que s’il était accompagné d’explications détaillées et sereines. Le président aurait alors pu se hisser à la position de patron de l’Europe qu’il convoite depuis l’effacement d’Angela Merkel. Au lieu de cela, par ses fulminations intempestives et ses coups de menton à contretemps, il s’est mis à dos à la fois la partie humaniste des peuples européens et les tenants de la fermeture des frontières nationales. Un beau chenit comme l’on dit aussi en arpitan !
Jean-Noël Cuénod
[1]Langue originelle de type francoprovençal, propre à la Suisse romande, à la Savoie et au Val d’Aoste