Il arrive que tombent les masques, même en ces temps tristement covidiens! Par exemple celui que la majorité macronienne de l’Assemblée nationale française a voulu imposer à la liberté d’expression. La Loi Avia « contre les contenus haineux sur internet » a été amputée de tous ses éléments répressifs et liberticides par le Conseil Constitutionnel qui a diffusé cette décision, hier[1].
Le Plouc avait écrit samedi 16 mai[2] dernier tout le mal qu’il fallait penser de cette loi portant le nom de son auteur, la députée LREM Lætitia Avia. Pétrie de bonnes intentions, cette proposition recelait dans sa pâte des toxiques qui risquaient fort d’empoisonner le débat public en l’anémiant et de tuer dans l’œuf la liberté d’expression, sans laquelle la liberté de conscience n’est qu’une vue de l’esprit.
Elle obligeait notamment les plateformes d’expression en ligne à retirer en 24 heures les contenus illicites (voire en une heure pour ceux à caractère terroriste ou pédopornographique !). La Lex Avia transformait les plateformes en juges pouvant, selon des critères flous, décider de ce qui est publiable et de ce qui ne l’est pas. Avec pour conséquence directe, la tentation forte de la surcensure préalable pour éviter ennuis et pertes de temps.
Par contenu illicite, il fallait entendre notamment la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée.[3]
Stérilisation des débats
Il faut désormais parler de cette loi à l’imparfait (ce qui est parfait pour un texte qui ne l’était pas !), du moins pour tous ses aspects répressifs. Adoptée il y a un mois, celle loi de censure a été sévèrement … censurée par le Conseil Constitutionnel (le texte de la décision est disponible ici). Les conseillers ont repris la plupart des arguments lancés contre la Lex Avia par de nombreux secteurs de la société.
Ce danger de surcensure préalable, le Conseil constitutionnel l’a bien perçu en explicitant son annulation de la disposition prévue par la loi Avia :
(…) Compte tenu des difficultés d’appréciation du caractère manifestement illicite des contenus signalés dans le délai imparti, de la peine encourue dès le premier manquement et de l’absence de cause spécifique d’exonération de responsabilité, les dispositions contestées ne peuvent qu’inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites. Elles portent donc une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée (…)
Le but visé par cette loi, c’est-à-dire lutter contre la haine numérique ne saurait être contesté. Mais stériliser les débats ne constitue en aucun cas une réponse intelligente, s’il faut, pour l’atteindre, réprimer la liberté d’expression.
Recours sans effet suspensif
Concernant la disposition réprimant les contenus d’apparence pédopornographique et terroriste, le Conseil constitutionnel précise :
D’une part, la détermination du caractère illicite des contenus en cause ne repose pas sur leur caractère manifeste. D’autre part, l’engagement d’un recours contre la demande de retrait n’est pas suspensif et le délai d’une heure laissé à l’éditeur ou à l’hébergeur pour retirer ou rendre inaccessible le contenu visé ne lui permet pas d’obtenir une décision du juge avant d’être contraint de le retirer. Enfin, l’hébergeur ou l’éditeur qui ne défère pas à cette demande dans ce délai peut être condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et à 250 000 euros d’amende.
Lorsque des sujets sensibles comme la place de l’islam dans les pays européens ou l’immigration ne sont plus ou beaucoup moins abordés, cela ne signifie pas qu’ils ont disparu par la magie d’une loi. Ils prennent, au contraire, une place fantasmatique et démesurée au sein de l’opinion. Une grande partie du peuple devient ainsi perméable aux infox, aux présentations falsifiées de ces questions qui, loi « anti-haine » ou non, continuent à courir. Et à pourrir les esprits. Comme les débats sont stérilisés, il devient malaisé de combattre cette propagande de l’ombre. Et dans l’isoloir, l’électeur est induit à se venger de ce « politiquement correct » devenu « juridiquement correct » en portant son choix vers les candidats du pire.
Le prix de l’incompétence
Il ne reste de la Loi Avia que sa partie préventive –nullement contestable, elle – qui contraint les plateformes numériques à se doter des moyens nécessaires pour identifier les contenus illicites, à se montrer plus transparentes sur leur activité de modération, à prévoir des instances de recours pour contester leurs décisions et à collaborer activement avec la justice et le Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Cette censure sévère du Conseil constitutionnel montre que les contre-pouvoirs fonctionnent en France. Mais elle illustre aussi l’incompétence du groupe LREM à l’Assemblée nationale qui a dépensé une grande énergie à défendre un texte particulièrement mal conçu, mal rédigé et mal défendu.
Puissent les parlementaires faire leur miel de cet avertissement du Conseil constitutionnel: la Constitution française permet au législateur de réprimer les abus de la liberté d’expression, mais à la condition que cette atteinte soit portée de manière «adaptée, nécessaire et proportionnée» aux objectifs poursuivis. Que les censeurs censurés n’oublient pas la claque qu’ils viennent de recevoir.
Jean-Noël Cuénod
[2] http://jncuenod.com/avec-la-loi-avia-la-liberte-dexpression-en-chute-libre/
[3] D’où le danger d’une réintroduction du délit de blasphème : tu vilipendes ma religion; par ce seul fait, tu me critiques en tant qu’un de ses fidèles, donc je suis victime d’un blasphème discriminatoire.
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