L’hirondelle qui a fait mon printemps

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@Estormiz via Wikipédia

Que me veut-elle cette hirondelle? Je suis là, dans ma cuisine pataugeant encore dans des ruines de rêves, l’âme ensuquée par les réseaux de la somnolence pâteuse. Etat lamentable d’avant-café. Et voilà qu’elle fonce sur la porte-fenêtre, façon Rafale! Au dernier moment, elle actionne ses aérofreins. Collision évitée. De justesse. Parfaite maîtrise du vol malgré l’énervement qui croît.

C’est qu’elle est vachement vénère, l’hirondelle, comme l’on dit dans ce délicat sabir de la caste des Djeunes.

Elle m’en veut. Personnellement. Ne cesse, la petite gueuse ailée, de me pépier des insultes. Je ne connais pas un traître mot de sa langue. Mais nul besoin de lire « lirondel » dans le texte pour savoir d’emblée que ce volatile m’inonde de noms d’oiseaux.

La noble famille des hirundinidés

Nouvelle attaque en piqué. Ma parole, elle va briser la vitre, l’inconsciente! Que nenni, toujours aussi habile des rétroréacteurs, l’hirondelle évite l’obstacle. On sent bien, pourtant, que si cela ne tenait qu’à elle, la vitre serait vite pulvérisée. Furieuse mais prudente, cette représentante de la noble famille des hirundinidés.

Et la voilà imitant l’hélicoptère, battant des ailes avec la frénésie du désespoir, pour faire du surplace.

Il me faut deux tasses de café pour tenter de remettre un peu d’ordre dans mes neurones matutinaux. Peine perdue, ce message véhément me demeure impénétrable.

Je m’extrais une seconde de ce fascinant spectacle pour lever la tête vers le sommet du vaisselier. Et là qui vois-je? Une autre hirondelle figée, elle, par la peur.

Les tigres buveurs de sang convergent

Peur d’autant plus compréhensible que mes enfoirés de chats convergent en direction du vaisselier avec des mines de tigres buveurs de sang.

Sans doute, la seconde hirondelle s’est-elle introduite lorsque j’ai ouvert les volets.

Bon. L’important maintenant est d’éloigner les félins avant qu’ils ne mettent leur crime à exécution. Ah, ils sont eux aussi furieux, les matous, d’être privés d’un déjeuner tout vif, tout chaud! Mais le tintinnabuli des croquette dans les gamelles surpasse de plusieurs coudées l’instinct du chasseur.

Le gang fourré étant placé hors d’état de nuire, ouverture illico de la porte-fenêtre. Passage en trombe de la première hirondelle  qui, après quelques loopings entre bouteilles et casseroles se met à enguirlander son conjoint.

Qui est le Monsieur? Qui est la Madame?

Qui est le Monsieur? Qui est la Madame? Eu égard à la longueur de ses rémiges, l’hirondelle qui cherchait à entrer dans la cuisine devait appartenir au genre masculin. En tout cas, son pépiement courroucé était à la hauteur de l’angoisse subie. Une preuve d’amour qui en vaut bien d’autres.

Voilà donc, s’enfuyant vers le ciel, le couple reconstitué. S’il bat de l’aile, ce n’est que pour mieux voler.

Les hirondelles vivent en couple, souvent leur vie durant ( ici, vous saurez tout à leur propos). Actuellement, ils retapent ensemble le même nid qu’ils ont laissé l’automne dernier. Le ciment (1) de leur demeure est aussi celui de leur attachement mutuel.

Durant ces minutes d’anxiété partagée avec la gent ailée, la radio débitait son chapelet satanique de nouvelles plus déprimantes les unes que les autres. Poutine poutinait. Trump trumpétait. Macron macronait. Les massacreurs massacraient. Ceux qui auraient dû la fermer continuaient à l’ouvrir. Et ceux qui auraient dû l’ouvrir, la fermaient comme d’habitude. La routine, quoi…

La seule force qui mérite d’être servie

Pendant un tout petit laps, ce flot insane s’est interrompu. Pour l’hirondelle en quête de son double, ces séismes humains ne signifiaient rien d’autres que des ondes de bruits dans une cuisine.

Une seule catastrophe résumait toutes les autres: la perte de son amour. Le nid, et avec lui son monde, risquaient l’effondrement.

Il a suffi d’ouvrir la fenêtre pour que le chaos disparaisse, en même temps que le couple d’hirondelles volant vers son destin.

Ces deux petits êtres avaient compris qu’il s’agit de servir la seule force qui mérite de l’être: l’amour.

C’est ainsi qu’une hirondelle a fait mon printemps.

Jean-Noël Cuénod

1 Ce « ciment » est souvent fait de boue ou de terre labourée.

3 réflexions sur « L’hirondelle qui a fait mon printemps »

  1. l’élégance du geste accompagnant la délicatesse d’une pensée, – s’opposent à la fange régnante de quelques bouchers du monde… Chamfort n’est pas loin ! Beau cousinage…

  2. Ceux qui vivent avec un chat connaisse l’histoire !!!
    Aucun effort n’est trop important quand il s’agit de sauver une vie !
    Bravo Jean-Noël, quelle immense joie de voir s’envoler l’amour, si loin dans les cieux.
    Gros bisous

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