Les grandes migrations et les deux angélismes

Migrants stand in front of a barrier at the border with Hungary near the village of Horgos, Serbia, September 16, 2015. Hungary's right-wing government shut the main land route for migrants into the European Union on Tuesday, taking matters into its own hands to halt Europe's influx of refugees. REUTERS/Marko Djurica - RTS1DM3

Migrants stand in front of a barrier at the border with Hungary near the village of Horgos, Serbia, September 16, 2015. Hungary’s right-wing government shut the main land route for migrants into the European Union on Tuesday, taking matters into its own hands to halt Europe’s influx of refugees. REUTERS/Marko Djurica – RTS1DM3

Nous sommes donc entrés dans l’ère des grandes migrations. Ce n’est certes pas la première fois que la planète connaît ces «remue-peuple». Mais à chaque fois, nous redécouvrons la lune et tombons de notre fauteuil sous l’effet d’une surprise pourtant fort prévisible. Aujourd’hui, les migrations massives sont le fait des ressortissants du Moyen-Orient qui cherchent à échapper aux massacres de l’Etat.

Mais demain, ce sont d’autres mouvements de population, sans doute encore plus importants, qui se dirigeront vers des contrées mieux préservées par la météo, à savoir ceux provoqués par le réchauffement climatique. C’est dire si nous ne sommes pas sortis de l’auberge migratoire. Or, devant cette ère qui ne fait que débuter, l’angélisme de droite et l’angélisme de gauche battent des ailes pour mieux fuir les problèmes.

L’angélisme de droite, tout d’abord.

Il consiste à renforcer les contrôles aux frontières et à élever des murailles en espérant que le flux migratoire sera endigué et qu’il s’infiltrera plutôt chez les voisins. Lesquels risquent fort d’être mécontents et d’user de moyens de rétorsion, ne serait-ce qu’en facilitant la venue chez nous de ceux que nous voulons rejeter chez eux. Dans un tel contexte, le chemin solitaire balisé en Suisse par les blochériens ou en France par les frontistes, ne mène qu’à des impasses.

La politique du mur relève de l’illusion démagogique, comme l’exemple des Etats-Unis, parmi bien d’autres, le démontre. Washington a dépensé six milliards de dollars pour ériger sur sa frontière mexicaine d’immenses barrières truffées de gadgets électroniques dans le but de tarir l’immigration clandestine. Or, l’U.S. Governement Accountability Office – l’agence qui évalue pour le Congrès l’efficacité des mesures prises par le gouvernement étatsunien – en a constaté l’échec: ces «digues» réputées infranchissables ont été traversées plus de 3000 fois en trois ans.

En fait, ces obstacles profitent surtout aux trafiquants de la traite humaine. Plus les frontières sont fermées, plus les réfugiés ont besoin d’organisation de passeurs professionnels pour les franchir. Les mafieux disent merci aux angélistes de droite qui leur assurent ainsi une rente de situation encore plus juteuse que celle générée par le trafic de stupéfiant.

Et en fin de compte, les angélistes de droite devront affronter le réel au lieu de se complaire dans la pensée magique de l’imperméabilité des frontières : sont-ils prêts à rejeter vers la mort des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes qui fuient les massacres des islamoterroristes?

L’angélisme de gauche, ensuite.

Il consiste à croire qu’il faut accueillir les réfugiés sans restriction aucune, sans contrôle, sans préparation en espérant que, finalement, tout s’arrangera grâce au bon-vouloir des uns, des autres. Et en croyant que cette situation n’affectera nullement le cours de notre train-train. Les lendemains qui chantent ne manquent jamais de fausses notes hélas.

Sous-estimer les conséquences de ces vagues de réfugiés sur les populations locales, c’est faire le lit de la xénophobie et du racisme. Se sentant abandonné par le pouvoir politique face aux bouleversements économiques, sociaux et culturels que les nouveaux arrivés susciteront immanquablement, le peuple se réfugiera vers les illusions entretenues par les extrémistes de droite.

Il faut donc voir enfin les choses en face : il est impossible humainement de rejeter ceux qui fuient les massacres de l’islamoterrorisme mais nous devons aussi prendre conscience que notre vie en sera changée, qu’on le veuille ou non. C’est ce travail d’introspection collective que chaque pays d’Europe, Suisse comprise bien sûr, devrait entreprendre.

 

La première mesure à prendre serait de constater l’incapacité de l’Union européenne à apporter la moindre solution à ce problème. Or, aucun Etat ne peut, à lui seul, gérer les flux migratoires, c’est au moins cette leçon que l’actuelle crise migratoire nous aura apprise. Les décisions incohérentes de l’Allemagne d’Angela Merkel – un jour, j’ouvre mes frontières en invitant les réfugiés ; un autre jour je les referme en rejetant les demandeurs d’asile – l’ont bien démontré. Ni Bruxelles ni les Etats n’étant en mesure d’agir efficacement, il reste le bricolage au jour le jour, ce qui est tout sauf satisfaisant. Pour l’instant, il faudra «faire avec», faute de mieux.

Nos dirigeants bricolos devront sortir de leur trousse à outils, l’indispensable négociation. Car fermer ses frontières en laissant les voisins se débrouiller n’est pas envisageable à long terme, sauf à provoquer une série de crises locales qui s’ajouteraient à la masse des difficultés. Les Etats devront donc discuter entre eux pour se répartir ces réfugiés qu’il faut bien loger quelque part. Dans le meilleur des cas – et en faisant montre d’un bel optimisme que tout contredit actuellement –, c’est une nouvelle Europe qui pourrait alors prendre forme, sur des bases plus saines.

Les dirigeants politiques ne sont pas des chamans capables à eux seuls de conjurer les forces souterraines pour diriger les flux migratoires. Le peuple a aussi sa partie à jouer. Pour l’instant, dès que l’on rappelle les richesses produites par les réfugiés en France, surtout en Suisse et ailleurs en Europe, les oreilles se ferment. A l’instar du fils de réfugié hongrois Nicolas Sarkozy, on ne veut voir dans les demandeurs d’asile que les quémandeurs d’aides sociales. C’est oublier que nombre d’entre eux disposent de diplômes, parlent plusieurs langues et ont fait preuve, en bravant les dangers mortels, d’une sacrée force de caractère. Dès lors, l’image du réfugié comme éternel assisté n’est que ce qu’elle est, à savoir un cliché trompeur.

L’autre peur populaire est celle de l’islam. Ces Syriens qui frappent à nos portes grossiraient le nombre des musulmans en Europe et risqueraient de faire de l’islam une religion dominante. Relevons tout d’abord que les réfugiés de Syrie sont à l’image de leur pays qui est composé de plusieurs communautés religieuses.

Ensuite, les musulmans syriens qui ont dû fuir en catastrophe l’Etat islamique ont tous les motifs du monde pour détester l’intégrisme qu’il personnifie. Par conséquent, ils peuvent, au contraire, contribuer à contrer la propagande intégriste dans les mosquées européennes. A cet égard, leur apport peut être particulièrement précieux et constitue même une chance pour les pays européens. Le vécu de ses victimes est le plus implacable des réquisitoire contre Daech.

Une autre crainte est celle de voir des islamoterroristes infiltrés au sein des réfugiés. Cette crainte ne doit être ni sous-estimée ni surestimée. Après tout, durant la guerre froide, des agents soviétiques se sont glissés parmi les candidats au refuge en Europe et aux Etats-Unis. Pourquoi l’Etat islamique n’en ferait-il pas autant? C’est pourquoi, il est nécessaire de contrôler autant que faire se peut les candidats à l’asile. Mais là aussi, un Etat ne peut, en solo, assurer cet indispensable travail de police et de renseignement ; il doit se coordonner avec les structures de contrôle des pays voisins. Cela dit, un élément est de nature à relativiser l’importance des agents infiltrés : hélas, l’Etat islamique et les autres groupes islamoterroristes disposent déjà de nombreux relais dans les pays européens, comme l’ont prouvé les attentats en France et en Grande-Bretagne. Dès lors, la nécessité d’introduire des agents infiltrés n’est guère nécessaire pour Daech et les mouvements de même acabit.

Conclusion : au lieu de trembler de trouille ou de faire le Ravi de la crèche, il faut tenter de faire d’une situation périlleuse, un facteur de chance. C’est ainsi qu’au fil de l’Histoire toutes les sociétés humaines sont parvenues à intégrer les flux migratoires.

 

Jean-Noël Cuénod

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