Innommable extrême-droite…

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Voilà un masque tout sauf extrémiste signé par Le Chat de Philippe Geluck.

Néofasciste, postfasciste, populiste, national-conservateur… N’en jetez plus, la cour de droite est pleine! Les constants succès électoraux de cette mouvance, qui mérite bien ce nom, ont jeté les médias dans l’embarras lexical. Quel nom lui donner? Tentative hasardeuse, car l’actuelle extrême-droite est, au sens premier, innommable. Et c’est l’une de ses forces.

Tout d’abord, comment qualifier l’extrême-droite et quelle en est la frontière? D’emblée la tâche s’annonce rude car la plupart des formations de ce camp politique refusent cette qualification. 

On distingue néanmoins certains traits communs: nationalisme, défense des classes moyennes contre la concurrence, réelle ou fantasmée, de l’immigration, propension au complotisme, défiance vis-à-vis de tout ce qui est perçu comme « intellectuel », conservatisme des moeurs, racisme non-revendiqué mais constamment présent dans la rhétorique, méfiance contre les mécanismes d’adaptation aux évolutions. 

Ce dernier point surtout la sépare radicalement de la droite libérale qui, elle, cherche à adapter la société aux évolutions qu’elle juge inévitables et rejette le racisme. 

Pourquoi l’extrême-droite est… extrême

Même si elle refuse ce positionnement, l’extrême-droite mérite bien son nom dans la mesure où elle exacerbe certains contenus idéologiques qui sont présents – à doses plus ou moins homéopathiques – au sein de la droite libérale, comme le patriotisme (forme civilisée du nationalisme) et le conservatisme des moeurs (même si la droite libérale apparaît très divisée sur ce chapitre). 

Concernant les classes moyennes, l’extrême-droite et la droite libérale les défendent toutes deux mais il ne s’agit pas  forcément des mêmes classes moyennes (terme d’ailleurs trop vague pour être honnête)! L’extrême-droite s’adresse avant tout aux professions qui sont les perdantes du commerce mondialisé alors que la droite libérale mobilise plutôt celles et ceux qui en font partie des bénéficiaires.

Pour progresser dans les opinions, l’extrême-droite a besoin de lancer ses tentacules à la fois vers la droite libérale – en arborant le masque patriotique et celui de la défense des moeurs traditionnelles – et vers la gauche en récoltant ses anciens électeurs, notamment les ouvriers que la social-démocratie a souvent laissé tomber au profit de la nébuleuse des « minorités ». L’extrême-droite revêt alors le masque de la défense des acquits sociaux. 

Une confusion qui vient de loin

Cette tactique de la confusion apparaît d’ailleurs dès l’origine du fascisme et du nazisme. Benito Mussolini était un ancien tribun du Parti socialiste italien, la formation d’Hitler avait pour nom Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (Parti national-socialiste des travailleurs allemands) et Jacques Doriot, le chef du seul parti fasciste de masse en France (PPF), était un ancien dirigeant communiste.

Dès lors, l’extrême-droite apparaît sous les formes les plus diverses en fonction des pays et des situations économiques. Elle peut être :

– néofasciste lorsqu’il s’agit de célébrer la force et la verticalité du pouvoir ainsi que l’exaltation de la police et des forces armées;

– postfaciste lorsque le folklore mussolinien devient trop embarrassant;

– populiste par le recours systématique à la démagogie;

– national-conservatrice en défendant le souverainisme et la préservation de l’image traditionnelle des moeurs en général et de l’hétérosexualité en particulier. 

Cela dit, cette extrême-droite peut aussi prendre le masque de la défense des homosexuels contre l’homophobie des islamistes comme aux Pays-Bas avec Geert Wilders et son Parti de la Liberté. Un argument repris, mais à plus bas bruit, par le Rassemblement national en France. Ainsi, Marine Le Pen n’avait pas participé aux manifs contre le mariage homosexuel. Le vote LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels, trans) est d’ailleurs en train d’évoluer comme le révèle cet article .

L’extrême-droite se reconnaît aussi à cela: si elle défend l’un de ses anciens bouc-émissaire, c’est pour mieux atteindre sa nouvelle cible.

La chauve-souris fait patte de velours

L’extrême-droite ressemble donc à la chauve-souris de Jean de La Fontaine « Je suis oiseau, voyez mes ailes (…) je suis souris, vivent les rats! »  Ce caractère protéiforme tient, selon toute vraisemblance, un rôle majeur dans les succès électoraux des divers partis d’extrême-droite. Elle offre de moins en moins d’angles aux attaques, à la manière des avions furtifs. 

Et puis, ne se réclame-t-elle pas désormais de la démocratie? N’a-t-elle pas renoncé à prendre le pouvoir par la force ? C’est en effet deux différences majeures avec les formations fascistes ou nazies. Du moins à première vue.

Les attaques contre l’Etat de droit

Toutefois, un peu partout, elle fourbit ses armes pour combattre l’Etat de droit, c’est-à-dire les institutions nationales et supranationales en capacité d’exercer un contre-pouvoir au gouvernement.  

En Hongrie, le premier ministre Viktor Orban a vidé de sa substance la Cour constitutionnelle en lui ôtant la plupart de ses prérogatives (à lire ici, un article des Echos). En Pologne également, le PiS au pouvoir s’est attaqué à l’indépendance des juges. D’une manière générale, la plupart des formations d’extrême-droite vilipendent ces contre-pouvoir, accusés de faire écran entre le peuple et ses dirigeants. Un écran qui est en fait un bouclier sauvegardant les libertés individuelles contre les excès du pouvoir et des aléas électoraux.

Dans ce combat, l’extrême-droite peut même utiliser les instruments de la démocratie directe comme en Suisse avec l’initiative « contre les juges étrangers » de l’UDC. Avec plus ou moins de succès, puisque l’initiatIve de l’UDC a été largement rejetée par le peuple (à 66,2%) le 25 novembre 2018.

L’exemple des Etats-Unis

Les attaques contre l’Etat de droit se révèlent d’autant plus inquiétantes que certains groupe d’extrême-droite n’hésitent pas à exercer la violence politique, surtout aux Etats-Unis. Chacun se rappelle l’assaut donné par des hordes trumpistes contre le Capitole le 6 janvier 2021 qui a démontré aux yeux du monde entier que l’extrême-droite étatsunienne pouvait passer de la parole à l’acte.

Autre élément inquiétant qui vient encore des Etats-Unis: le refus de reconnaître sa défaite électorale de la part de nombreux candidats républicains à la suite de Donald Trump. Dans leur esprit, la victoire de l’adversaire relevant de l’impossible, si elle survient, c’est forcément du fait de la fraude. Le pas vers une contestation du résultat par la violence peut alors être vite franchi. Aux Etats-Unis et ailleurs la démocratie reste un bien fragile.

Le diable se cacherait-il aussi dans la « dédiabolisation »?

Jean-Noël Cuénod

Cet article est paru vendredi 11 novembre 2022 dans le magazine numérique BON POUR LA TÊTE  – Média indocile https://bonpourlatete.com

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