Egalité Femmes-Hommes: pourquoi ça coince

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« Grand Couple » bronze d’Henri ETIENNE-MARTIN (1947) dans le jardin de la Fondation Pierre-Gianadda à Martigny (Valais-Suisse) ©JNC_Beaurecueuil-Forge de la Poésie

«Sexisme persistant et inégalités ancrées dans la société», tel est le navrant constat dressé dans son rapport 2024 par le Haut Conseil à l’Egalité Femmes-Hommes (HCE). L’an passé, ce même office avait déjà dénoncé ce sexisme qui perdure, voire progresse. «En arrière toute!» clame une partie de la société qui s’accroche aux vieux préjugés comme la moule à son rocher. Mais pourquoi ça coince?

Malgré les dénonciations en France d’actrices contre les bourrins d’un cinéma faisandé après la vague #MeToo aux Etats-Unis, malgré les rapports toujours alarmants du HCE (celui de 2024 est aussi consternant que les précédents), le sexisme ne désarme pas. Au contraire, plus il est mis en cause, plus il monte en virulence, comme l’illustre le « Sixième état des lieux  établis par le Haut Conseil à l’Egalité Femmes-Hommes ».

La chose n’est guère étonnante. Il en va ainsi de toute atteinte portée aux pouvoirs quels qu’ils soient. Les combats d’arrière-garde sont toujours les plus sanglants. La Bête blessée, dos au rocher, gagne en férocité. Et puis, les révolutions – et celle menée contre le patriarcat en est une majeure – avancent souvent en faisant trois pas en avant puis deux en arrière.

La mère des Révolutions

Au-delà de ces explications plus ou moins pertinentes, plus ou moins foireuses, cette persistance s’explique, à mon modeste sens, par le caractère fondamental de la lutte menée contre le patriarcat. Elle atteint ce qui fait la source même de la Domination.

Avant la domination d’une tribu sur une autre, des patriciens sur les esclaves, des nobles sur la roture, des clercs sur les illettrés, des capitalistes sur le prolétariat, du Secrétaire général sur le Parti et du Parti sur le peuple, il y a la Domination de base, la matrice de toutes les autres, sans laquelle elles ne pourraient pas opérer, celle que l’homme exerce sur la femme, à savoir le Patriarcat.

Certes, il a existé de sociétés matriarcales. Mais c’est le Patriarcat qui, partout, s’est imposé et s’impose encore.

Velléités vite oubliées

Le christianisme – avec la phrase de Paul, « il n’y a plus ni homme ni femme » –, la Révolution française, le socialisme sous ses formes autoritaires ou démocratiques, ont exprimé, au début de leur diffusion, un certain souci de parvenir à une égalité entre les deux genres de l’humanité. Velléités vite oubliées sous le prétexte d’asseoir le pouvoir du vainqueur des révolutions sur ses adversaires.

Et surtout, tant que la Domination originelle demeure, toute tentative de supprimer une domination particulière est – et sera – vouée à l’échec.

C’est compliqué, l’humain…

En théorie, si l’archétype de la Domination, le Patriarcat, tombait dans le tout-à-l’égout de l’Histoire, toutes les autres formes qui en procèdent devraient le suivre.

Mais la vraie vie n’en fait qu’à sa tête et ignore le plus souvent l’élégance des belles équations. Il y a toujours quelque chose qui coince, qui ne va pas droit, qui est « maillé » comme le disaient jadis les ouvriers genevois.

Tout d’abord, il arrive que des médiacrates femmes défendent les mêmes positions que celles adoptées par les masculinistes.

Normalement, lorsqu’un footeux marque contre son camp, la honte fleurit sur son visage. Au contraire, ces militantes antiféministes se montrent très fières d’emboucher les même trompettes que les porteurs de slip kangourou façon Trump.

Autobuteuses et fières de l’être

D’ailleurs, l’une de ces autobuteuses-fières-de-l’être s’agite dans l’écurie de Trump, ce qui constitue tout sauf une surprise. Il s’agit de Janet A. Morana, directrice exécutive de « Priests for life » (prêtres pour la vie) et membre du groupe de catholiques intégristes qui est chargé de conseiller Trump dans son actuelle campagne électorale.

Elle est cofondatrice du grand mouvement « Silent No More awarness » qui met en exergue le témoignage des femmes ayant regretté leur interruption de grossesse.

Avoir obtenu gain de cause à la Cour Suprême étatsunienne, concernant la liberté donnée aux Etats d’interdire ou non l’avortement, ne suffit pas. Encore faut-il obtenir l’assentiment d’une majorité des Etatsuniens. Or, le sondeur Gallup indique que seulement 19% d’entre eux veulent rendre illégale l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Janet A. Morana et ses nombreuses affidées – car elle est loin d’être solitaire! – s’emploient donc à renverser la vapeur par d’intenses campagnes contre l’IVG, en s’attaquant à l’un des droits fondamentaux arrachés par les féministes, à savoir la liberté de maîtriser son corps.

Merci au Sénat français!

Cette montée en puissance, outre-Atlantique, des lobbies contre l’IVG souligne l’importance de la décision du Sénat français qui vient d’ouvrir la voie à l’inscription de l’Interruption volontaire de grossesse dans la Constitution de la Ve République. Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles en ces temps brumeux…

Toujours en France, une femme, Thaïs d’Escufon, fait la promotion de l’idéologie masculiniste sur les réseaux sociaux. Il faut dire que cette zémule de Zemmour était porte-parole de Génération Identitaire, avant la dissolution de ce groupuscule d’extrême-droite par le gouvernement en mars 2021 pour « provocation à la haine et à la discrimination » (on peut lire le décret de dissolution ici).

Le moulin aux délires masculinistes tourne à plein régime

Certes, il s’agit d’un comportement minoritaire, plus encore en France qu’aux Etats-Unis. Cela dit, ces autobuteuses-fières-de-l’être apportent une caution féminine qui ne peut qu’alimenter le moulin à délires des masculinistes.

Et comme nous le montre, le « Sixième état des lieux établis par le Haut Conseil à l’Egalité Femmes-Hommes », ce moulin tourne à plein régime.

De plus, ce n’est pas parce qu’une femme parvient – avec bien plus de difficultés qu’un homme – au pouvoir qu’elle exercera une politique différente de celles qu’incarne la gent masculine.

Lorsqu’elle était Première Ministre de Sa Majesté, Margaret Thatcher avait affiché ces sentiments que l’on prête aux politiciens les plus virils: insensibilité à la souffrance des autres, brutalité dans l’exercice de sa fonction, volonté belliqueuse à l’intérieur, contre les syndicats et à l’extérieur, contre l’Argentine aux Malouines. Le Patriarcat se montre souvent contagieux.

Evidemment, il existe des causes profondes à cette grande forme qu’affichent sexisme et masculinisme. Tout d’abord, l’un et l’autre ont partie liée avec l’extrême droite portée par ce climat de trouille générale que nous subissons.

En jeu, l’intime de l’intime

Ensuite, et surtout, contrairement aux autres grands affrontements sociaux et culturels, la lutte contre le Patriarcat met en cause l’intime de l’intime de tout être humain. Chaque femme, chaque homme est tissé par sa sexualité, ses frustrations, ses pulsions plus ou moins inconscientes et tous ses constituants appelés, faute de mieux, psychiques. Le sentiment de domination est inscrit dans ce complexe. Pas facile d’en sortir.

A en croire les discours masculinistes qui pleuvent sur les réseaux sociaux, les hommes, notamment, les jeunes, voient dans la marche des femmes vers l’égalité, une forme de castration.

Ce délire a trouvé dans un récent fait divers une sanglante illustration. 

Une lutte à double face

L’un des objectifs principaux de la lutte contre le Patriarcat devrait tendre à la maîtrise de cette force de domination qui agit à l’intérieur de nous – plus évidente chez l’homme mais aussi présente chez la femme. Maîtrise mais non pas éradication car cette force fait partie du bagage humain.

La lutte contre le Patriarcat est donc – au moins! – double, externe et interne. Dans ce contexte, la militance consiste aussi – et peut-être surtout – à porter le combat au sein de soi-même.

Si un jour l’humanité parvient à dompter ce monstre protéiforme qu’est le Patriarcat, alors le temps de sa véritable émancipation se profilera. A la compétition mortifère succédera la collaboration vivifiante.

Oui, je sais, y a du boulot! Mais au lieu de rester l’œil fixé sur le trottoir du quotidien jonché d’étrons, il n’est pas interdit de lever un peu la tête vers l’horizon.

Jean-Noël Cuénod

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