Les tactiques faussement fines et finement fausses, les jeux de billard à trois bandes (et à deux balles) ont donc abouti à ce couac qui fait mal aux oreilles. A force de privilégier le clan Le Pen pour en faire à la fois son principal interlocuteur et son épouvantail électoral, Macron s’est fourré tout seul dans la nasse.
Si l’on ajoute au score du Rassemblement National de Jordan Bardella et Marine Le Pen (31,37%) celui des maréchalistes zemmouriens (5,47%), près de 40% des électeurs ont voté pour les héritiers, assumés ou chafouins, du régime de Vichy… Alors que le monde encore libre célèbre les 80 ans du Débarquement en Normandie!
L’insupportable briseur de jouets
Face à un tel désaveux, Emmanuel Macron aurait pu nommer un gouvernement d’union nationale pour tenter de surmonter la catastrophe lepéniste. Mais plus personne ne veut jouer avec cet insupportable briseur de jouets.
Autre solution qui aurait eu de l’allure: démissionner de la présidence pour laisser champ libre à d’autres personnalités (mais, diantre, lesquelles?). Seulement voilà, Emmanuel Macron n’est pas le général de Gaulle, même s’il cherche souvent en revêtir les habits. Le képi est trop grand pour lui et tombe devant ses yeux. Situation malcommode si l’on veut développer quelque vision que ce soit.
Se refaire la cerise
Dès lors, la dissolution de l’Assemblée nationale reste la seule solution. D’autant plus qu’elle convient à son tempérament de joueur de poker. Comme tous les joueurs invétérés, Macron oublie qu’il a perdu la main depuis qu’il a raté le début de son second quinquennat. Il veut donc se refaire la cerise. Mais il est fini, le temps des cerises.
Emmanuel Macron laisse un paysage politique en ruine. La droite LR échoue une fois de plus en arrachant 7% des voix. A entendre, la tête de liste François-Xavier Bellamy se consoler en déclarant qu’il fait mieux que les 4,78% de la candidate LR à l’élection présidentielle en 2022 Valérie Pécresse, on a presque pitié pour lui.
Bref, LR en est réduit à quémander de l’aide au Rassemblement National ou au camp macronien en piteux état.
Un sale coup pour la gauche
Pour la gauche, cette dissolution est un sale coup. Ce qui confirme cette tendance d’Emmanuel Macron à préférer le RN à la gauche.
Les listes du Parti socialiste-Place Publique, de La France Insoumise, des écologistes et communistes seraient arithmétiquement les seuls à pouvoir se mesurer avec l’extrême-droite après avoir engrangé, en tout, 31%.
Hélas, leurs programmes respectifs se situent parfois à des années-lumière. Le social-démocrate Raphaël Glucksmann et l’Insoumis Jean-Louis Mélanchon ne sont à peu près d’accord sur rien ou pas grand-chose. Concernant l’Europe, l’Ukraine, la Palestine, Israël et la façon de gouverner, l’écart entre eux relève de la déchirure ligamentaire.
Une campagne précipitée
Pour aplanir de telles difficultés, il faut disposer du temps nécessaire pour mener à bien les négociations. Or, c’est justement ce qui manque le plus, le temps!
Dès lors, la gauche court le risque de se précipiter dans une sorte d’accord-replâtrage qui glisse sous le tapis les sujets qui fâchent pour ne présenter qu’une entente de façade. Mais elle ne trompera personne, à commencer par les électeurs.
Pokerman Macron sort son jeu
Pokerman Macron cherche à réitérer le coup du « Moi ou le RN » en ratissant ce qui reste d’éléments LR présentables et non encore infectés par l’extrême-droite. Il table aussi sur la présence en France des Jeux Olympiques pour convaincre les électeurs qu’offrir un nouveau succès électoral au Rassemblement National (RN) risquerait de désorganiser la mise en place déjà fort compliquée de cet évènement mondial.
Seulement voilà à force de crier « au loup Le Pen », l’actuel président risque fort de lasser les électeurs qui se diront qu’au fond « Le loup Le Pen » n’est peut-être pas aussi méchant que ça. A force d’être brandi, il fait maintenant partie des meubles.
S’il subit une nouvelle défaite, Pokerman Macron tentera un nouveau coup: nommer Jordan Bardella ou Marine Le Pen comme premier ministre. Sans doute est-il persuadé qu’il pourra le ou la rouler dans sa farine, comme Mitterrand l’avait fait jadis avec Chirac.
Lors de leurs interventions publiques, Bardella et Marine Le Pen ont fait étalage de leur incompétence, surtout en matière économique. Et puis, le Rassemblement National ne regorge pas d’experts capables de conseiller leurs dirigeants dans les matières complexes.
Märzveilchen
C’est oublier que des hauts-fonctionnaires commencent à prendre discrètement langue avec le RN afin de proposer leur assistance. C’est surtout omettre l’effet « Violettes de Mars ».
Märzveilchen, c’est ainsi que les anciens du parti nazi surnommaient les nouveaux adhérents qui avaient afflué en nombre après le triomphe du NSDAP aux élections allemandes le 5 mars 1933. Des cadres supérieurs, intellectuels, experts jusqu’alors fidèles à la République de Weimar, avaient surmonté leur aversion première pour mettre leurs compétences au service du nouveau régime.
Toute proportion gardée, il est probable qu’une fois nommé la ou le premier ministre RN susciterait une vague d’inscriptions à son parti. Et parmi eux, de nombreux hauts-fonctionnaires, dirigeants d’organismes sociaux, gestionnaires qui s’empresseraient de conseiller le nouveau parti au pouvoir. En politique, les « Violettes de Mars » se cueillent à toutes les époques. Pourquoi pas en juillet?
Devenu ainsi plus crédible lors de la présidentielle de 2027, le RN pourrait alors recevoir dans ses mains l’Elysée comme un fruit mûr.
Pokerman Macron risque fort de faire capot. Et nous avec.
Jean-Noël Cuénod
Clin d’oeil pour alléger l’atmosphère
« Les Violettes de Mars » du compositeur viennois Eduard Strauss (1835-1916). Elles n’ont rien à voir avec l’espèce vénéneuse qui allait fleurir à Berlin en mars 1933.