Triste semaine pour les criminels du pouvoir. Le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), le Britannique Karim Khan a demandé aux juges compétents de la CPI de délivrer des mandats d’arrêt contre trois dirigeants du Hamas et deux autres contre le premier ministre israélien et son ministre de la Défense. A Paris, trois hauts responsables syriens seront jugés par la Cour d’assises.
D’emblée, tant le Hamas que le gouvernement israélien se disent ulcérés par le fait d’être placés dans le même sac accusatoire.
Netanyahou ose tout – et c’est à ça qu’on le reconnaît – en hurlant à l’antisémitisme. Est-ce en tant que Juif qu’il est la cible d’une demande de mandat d’arrêt? Non. C’est en sa qualité de chef d’un gouvernement. Et comme tel, son appartenance religieuse et culturelle ne sont pas à même de l’incriminer ou le dédouaner.
Mais Netanyahou n’a que faire de son pays qu’il avait tenté de trahir par des lois iniques (lire ici) et qu’il est en train d’enfoncer dans une guerre sans issue. Ce qui lui importe, c’est d’éviter d’être trainé en justice par ses propres tribunaux et d’occulter sa décision de dégarnir militairement les abords de Gaza pour reporter ses troupes sur les colonies illégales en Cisjordanie. Résultat, champ libre fut laissé au Hamas pour perpétrer son pogrom géant du 7 octobre 2023.
Mauvaise foi bien partagée
Si le procureur de la CPI est antisémite uniquement pour avoir envoyé cette demande de mandat d’arrêt – même si les dirigeants musulmans du Hamas sont eux aussi visés – alors tout le monde est antisémite. Et si tout le monde est antisémite, alors personne ne l’est.
Nétanyahou rend ainsi un sacré service à tous les véritables antisémites qui cachent de moins en moins leur mentalité mortifère.
De même, le Hamas reproche au procureur de la CPI de ne pas distinguer entre la victime et l’agresseur. Ce qui est tout aussi inaudible que la diatribe de Nétanyahou. Car désigner comme victimes, les auteurs du massacre – vraiment antisémite pour le coup – de jeunes Israéliens en pleine fête, il faut vraiment disposer d’une mauvaise foi en titane!
Ce que dit le procureur Kahn
Alors voyons ce que dit le procureur Khan à l’appui de sa demande (le texte complet disponible ici ).
Tout d’abord, concernant le Hamas:
Compte tenu des éléments de preuve recueillis et examinés par mon Bureau, j’ai de bonnes raisons de penser que la responsabilité pénale de Yahya SINWAR (chef du Mouvement de résistance islamique [« Hamas] dans la bande de Gaza), Mohammed Diab Ibrahim AL-MASRI, plus connu sous le nom DEIF (commandant en chef de la branche armée du Hamas, communément appelée « les brigades Al-Qassam ») et Ismail HANIYEH (chef de la branche politique du Hamas) est engagée pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ci-après commis sur le territoire d’Israël et dans l’État de Palestine (dans la bande de Gaza) depuis le 7 octobre 2023 au moins :
– L’extermination en tant que crime contre l’humanité, en violation de l’article 7‑1‑b du Statut ;
– Le meurtre en tant que crime contre l’humanité, en violation de l’article 7‑1‑a et en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑c‑i ;
– La prise d’otages en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑c‑iii ;
– Le viol et autres formes de violence sexuelle en tant que crime contre l’humanité, en violation de l’article 7‑1‑g et également en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑e‑vi dans le contexte de la captivité ;
– La torture en tant que crime contre l’humanité, visé à l’article 7‑1‑f et en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑c‑i, dans le contexte de la captivité
– D’autres actes inhumains en tant que crime contre l’humanité, en violation de l’article 7‑l‑k, dans le contexte de la captivité ;
– Les traitements cruels en tant que crime de guerre en violation de l’article 8‑2‑c‑i, dans le contexte de la captivité ;
– Atteintes à la dignité de la personne en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑c‑ii, dans le contexte de la captivité.
Ensuite, voilà sa demande concernant les deux responsables (ou irresponsables) israéliens:
Compte tenu des preuves recueillies et examinées par mon Bureau, j’ai de bonnes raisons de penser que la responsabilité pénale de Benjamin NETANYAHU, le Premier Ministre d’Israël, et de Yoav GALLANT, Ministre de la défense d’Israël, est engagée pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ci-après commis sur le territoire de l’État de Palestine (dans la bande de Gaza) à compter du 8 octobre 2023 au moins :
– Le fait d’affamer délibérément des civils comme méthode de guerre en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑b‑xxv du Statut ;
– Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé, en violation de l’article 8‑2‑a‑iii ou les traitements cruels en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑c‑i ;
– L’homicide intentionnel, en violation de l’article 8‑2‑a‑i ou le meurtre en tant que crime de guerre, en violation de l’article 8‑2‑c‑i ;
– Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que crime de guerre en violation des articles 8‑2‑b‑i ou 8‑2‑e‑i ;
– L’extermination et/ou le meurtre en tant que crime contre l’humanité, en violation des articles 7‑1‑b et 7‑1‑a, y compris en lien avec le fait d’affamer des civils ayant entraîné la mort, en tant que crime contre l’humanité ;
– La persécution en tant que crime contre l’humanité, en violation de l’article 7‑1‑h ;
– D’autres actes inhumains en tant que crime contre l’humanité, en violation de l’article 7‑l‑k.
« De bonne raisons de penser », en effet!
Dès lors, les deux parties, contrairement à leurs affirmations, ne sont pas mises dans le même sac. L’une et l’autre font l’objet d’incriminations distinctes, même si elles agissent dans le même contexte de faits, à savoir le conflit israélo-palestinien.
Qu’il y ait de « bonne raisons de penser » que le Hamas a perpétré l’un des pires pogroms antisémite de l’Histoire le 7 octobre 2023 et que le gouvernement Nétanyahou mêne actuellement un massacre de masse à Gaza, voilà qui tombe sous le sens, du moins sous le sens de ceux qui ne sont pas aveuglés par les propagandes.
Dès lors, la démarche du procureur Khan relève de l’évidence. C’est même la moindre des choses. A saluer, la position de la France qui soutient l’indépendance de la Cour pénale internationale.
La CPI, une tête sans bras
Il appartient désormais aux juges de la CPI de faire droit ou non à la demande du procureur international.
Avec quelles conséquences si les mandats d’arrêt sont délivrés? Pour l’instant, la Cour pénale internationale est une tête sans bras. Elle ne dispose d’aucune police judiciaire pour prêter la main à ses décisions.
Seuls les 124 Etats membres du Statut de Rome (1)— qui a donné naissance à la CPI – sont tenus d’arrêter un suspect visé par un mandat d’arrêt de cette nature. Et encore, avec les immunités dont disposent le plus souvent les chefs d’Etat, les criminels du pouvoir ne courent guère de risques.
Ainsi, Vladimir Poutine, visé par un mandat d’arrêt de la CPI depuis mars 2023 a pu se rendre en Chine. Toutefois, il ne peut plus aller n’importe où, sous peine de risquer l’arrestation. Un frein plutôt symbolique mais un frein quand même.
Un rôle politique loin d’être négligeable
Ces mandats jouent surtout un rôle politique. Les dirigeants qui en sont la cible peuvent perdre de leur aura sur le plan diplomatique au détriment de leur pays ou de leur mouvement. D’où la vive réaction de Nétanyahou et du Hamas contre la demande du procureur général.
Comme avec le mandat d’arrêt contre Poutine, l’actuelle requête du procureur Khan permet de faire avancer la cause de la justice pénale internationale. Certes, le chemin est aussi long que tortueux mais il est bon que les criminels du pouvoir sachent qu’ils sont, un jour ou l’autre, attendus au tournant.
Jean-Noël Cuénod
1 Israël et les Etats-Unis n’en font pas partie.