Palestine et Israël pris dans le piège iranien

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L’Ayatollah Ali Khamenei, Guide Suprême de la Révolution islamique ©AFP

« La première victime d’une guerre, c’est la vérité », comme ne l’a pas dit Rudyard Kipling (1). Celle qui vient d’éclater entre le Hamas et Israël en apporte une confirmation de plus. Les faits n’ont plus d’importance. Ceux qui tiennent à conserver la tête froide sont qualifiés de sans-cœur. Pourtant, la question du point de départ de la fournaise doit être posée si l’on veut en sortir.

Mais veut-on vraiment sortir de ce conflit septuagénaire? Rien n’est moins sûr. Faisons comme si…Comme si la raison pouvait tout de même dénicher une brèche dans ce mur d’émotions manipulées.

Alors d’où vient-il ce point de départ? Une précaution d’emblée: ne remontons pas au Premier Testament, ni au mandat britannique sur la Palestine, ni à la création d’Israël le 15 mai 1948, ni aux conflits ultérieurs, ni aux intifadas, plusieurs tomes n’y suffiraient pas.

Bornons-nous à la genèse de ce que l’on appelle désormais la guerre de souccot pour hasarder une hypothèse soumise à contradiction comme toutes les hypothèses (tentons de rester rationnel!).

Téhéran en ligne de mire

Il y a toujours  plusieurs causes à l’émergence d’un conflit. L’une des principales réside à Téhéran. Minée par son impopularité persistante au sein d’une population qu’elle peine à museler malgré une répression féroce, la mollarchie se sent coincée à l’extérieur.

Les pétro-monarchies sunnites désignent l’Iran comme leur ennemi principal et se rapprochent toujours plus d’Israël. L’acmé de ce fleurte est atteint mercredi 20 septembre dernier lorsque le prince héritier séoudien, Mohammed ben Salmane  – véritable patron du Royaume – annonce publiquement qu’un accord avec Israël est en bonne voie. Auparavant, les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan avaient normalisé leurs relations avec l’Etat hébreu.

Exeunt les Palestiniens…

De toute évidence, bien avant que l’Arabie Séoudite ne lance cette annonce, les mollarques ont vu le point faible de ce rapprochement arabo-israélien: les Palestiniens.

Pour les Etats arabes, la cause des Palestiniens ne reste qu’une fleur de rhétorique ornant leurs discours aussi creux qu’enflammés. Pas question de sacrifier leurs intérêts sur l’autel de Gaza et de la Cisjordanie.

Le rapprochement avec Israël, puissance numérique et cybernétique, offre de plus séduisantes perspectives qu’une cause que l’on ne soutient de tout façon que du bout de la babouche. Exeunt, les Palestiniens.

De son côté, le premier ministre israélien Nétanyahou constatant que sa politique de colonisation en Cisjordanie n’entrainait aucune réprobation sérieuse de la part de ses nouveaux amis arabes, il l’a poursuivie encore plus activement, plaçant ses pions en vue d’une éventuelle annexion de cette partie de la Palestine.

Nétanyhaou oublie Gaza, pas les mollarques!

Dans sa stratégie, le chef du gouvernement d’extrême-droite a délaissé l’autre partie de la Palestine, la bande de Gaza. Les mollarques, eux, ne l’ont pas oubliée.

Ils sont donc apparus comme les seuls alliés du Hamas, qui dirige Gaza d’une main tyrannique. Que le Hamas soit sunnite et les mollarques, chiites n’a pas d’importance. Ils ont deux ennemis en commun – les pétro-monarchies et Israël – ce qui rend bien subalternes tous les différends théologiques.

Et puis, ce soutien obéit aussi à une vieille stratégie des Mollahs, à savoir fédérer les autres musulmans, sunnites y compris, sous la bannière de leur révolution islamique.

Il fallait frapper fort. Très fort même afin de bien marquer les esprits. Et vite, avant que l’accord entre Ryad et Jérusalem ne coagule.

Il s’en est suivi l’horrible massacre commis par le Hamas le 7 octobre, à la fin de la fête juive de Souccot, dite aussi « des cabanes », qui commémore le nomadisme des Hébreux entre la sortie d’Egypte et l’accès à la Terre promise.

Le Hamas et vraisemblablement l’Iran, son allié et pourvoyeur d’armes, ont donc tablé sur l’inévitable réaction d’Israël pour créer un enchainement de répliques menant à une guerre qui obligerait les Etats arabes à se positionner, soit en poursuivant le rapprochement avec Israël – avec pour conséquence d’apparaître aux yeux de leur population comme des traitres –, soit en laissant tomber l’Etat hébreux.

Bien entendu, le gouvernement extrémiste israélien s’est précipité dans le piège iranien en bombardant massivement Gaza. Pouvait-il réagir de façon plus réfléchie, compte tenu de l’horreur des massacres perpétrés par Hamas sur sol israélien, Non, sans doute, compte tenu de la piètre qualité intellectuelle des dirigeants actuels. Il est bien révolu, le temps des grandes personnalités visionnaires – tel David ben Gourion – qui ont fait d’Israël un Etat moderne.

La roquette sur l’hôpital de Gaza

Sur ces entrefaites survient alors la tragédie de mardi: la roquette qui s’est abattue sur un hôpital à Gaza causant la mort de 200 personnes.

Roquette lancée par l’armée israélienne comme l’affirment le Hamas et l’autre mouvement, le Djihad islamique? Chute d’une roquette tirées à partir de Gaza par le même Djihad islamique? Personne ne peut répondre de façon crédible.

La thèse d’une roquette tirée de Gaza et tombée accidentellement sur le complexe hospitalier semble tenir la route, à en croire cette vidéo diffusée par TF1. Cela dit, elle n’est pas en mesure d’étayer une solide conviction, d’un côté comme de l’autre.

Et de toutes façons par ses bombardements massifs, Israël s’est mis en position d’être embarqué dans des bavures qu’elles soient de son fait ou de celui de ses adversaires.

Vagues de protestations

Cette incertitude n’a pas empêché des centaines de milliers de manifestants de descendre dans les rues de pays musulmans pour protester contre Israël et soutenir le Hamas, mais aussi pour vilipender leurs propres dirigeants politiques accusés de trahison.

C’est surtout le schéma qui s’inscrit en Cisjordanie où les manifestants ont acclamé le Hamas – très peu présent jusqu’alors hors de Gaza – et voué aux gémonies Mahmoud Abbas, chef de l’Autorité palestinienne (lire ce reportage). « Autorité » est d’ailleurs un bien grand mot, pour un président qui n’en a plus du tout. Après s’être laissé « corneriser » par le gouvernement israélien, Abbas a perdu toute considération de la part des Palestiniens en Cisjordanie. Pour ces derniers, le Hamas est devenu le seul cheval sur lequel ils peuvent encore placer ce qui leur reste de mise.

Téhéran aux portes de Jérusalem

Le rêve du Hamas de supplanter en Cisjordanie El Fatah de feu Yasser Arafat et représenter ainsi toute la Palestine est en passe de se réaliser. Les organisations nationalistes et non-religieuses, comme le Fatah, risquent fort de céder le pas aux mouvements islamistes fanatiques, liés à la mollarchie iranienne.   

Comme Téhéran a la main sur le Hezbollah qui domine le sud du Liban tout proche, la dictature mollarchique se trouve donc aux portes d’Israël.

Quant aux Palestiniens, ils risquent une fois de plus d’être instrumentalisés pour une cause, la mollarchie, qui n’est pas la leur.

Jean-Noël Cuénod

1 Cette formule est faussement attribuée à l’écrivain. Il semble que son véritable auteur soit le ministre britannique Philip Snowden qui fut le premier Chancelier de l’Echiquier travailliste en 1924.

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