Quelle que soit la forme de ses régimes – dictatorial, démocratique-autoritaire, démocratique-libéral, conservateur, nationaliste, centralisateur, fédéral – la politique atteint son degré 0 de refroidissement mental en matière de climat. Le piètre bilan de la COP26 enfonce encore un peu plus le monde dans la déprime, entre deux variants covidiens.
Il est vrai que l’on n’attend plus grand-chose de ces raouts qui finissent en bla-bla-bla comme l’ironise Greta Thunberg. Pourtant, les citoyens de ce monde ont failli être « déçus en bien ». Mais la myopie l’a finalement emporté sur la lucidité (On peut lire ici ce papier avec profit).Les Etats industrialisés – premiers responsables du dérèglement climatique – s’étaient engagés depuis 2009 à verser 100 milliards de dollars par an aux Etats en développement – première victime de ce dérèglement – pour aider à leur transition écologique. Serment d’ivrogne. Rien n’a été versé.
On allait voir ce qu’on allait voir avec la COP26. Une première mouture de la déclaration finale engageait les pays riches à honorer leurs engagements d’il y a onze ans et même à doubler leur mise d’ici à 2025. Eh bien, on n’a rien vu ! La déclaration finale-finale n’a émis que de vagues promesses non chiffrées.
Le mauvais coup sino-indien
Même castration sur la sortie des énergies fossiles et l’arrêt des subventions y relatives. La déclaration finale n’évoque pas une « sortie » du fossile mais une simple « réduction ». Quant aux subventions, il ne faudrait éviter que celles qui sont « inefficaces ». Bel exemple d’humour noir ou plutôt anthracite.
A la dernière minute, la Chine et l’Inde ont manœuvré pour que, finalement, le texte soit vidé de sa substance. On imagine aisément que le Parti communiste chinois et le gouvernement nationaliste indien trouveront des tas de raisons pour juger leurs subventions aux énergies fossiles « efficaces ». En tout cas pour leurs propres intérêts. (On peut lire ici ce papier avec profit).
Ironie du dérèglement climatique : alors que l’Inde avait tout fait pour protéger son énergie fossile, sa capitale New-Delhi a dû fermer ses établissements scolaires, la pollution de l’air ayant atteint des sommets !
Les leçons du fiasco de Glasgow
L’une des leçons que l’on peut tirer du fiasco de Glasgow est donc l’incapacité persistante du processus de décision politique à se montrer visionnaire, à prendre des décisions qui dépassent l’espace mémoriel des mouches, à contraindre les intérêts privés des hypergroupes économiques à s’aligner sur l’intérêt des humains.
Les dirigeants démocrates restent obsédés par leurs échéances électorales, ne parviennent pas à voir plus loin que le bout de leur mandat, voire ménagent leurs bailleurs de fonds électoraux qui n’ont pas forcément le bien commun en ligne de mire.
Les dictateurs ne subissent pas l’aléas démocratique mais cherchent avant tout à augmenter leur puissance sur tous les plans. Dès lors tout ce qui vient contrecarrer cette marche vers leur hubris– comme une diminution de leur capacité de production polluante – est perçu comme une menace qui entamerait le caractère totalitaire de leur pouvoir.
L’impotence des puissants
Ce constat que tout le monde peut dresser ne compte sans doute pas pour rien dans l’atmosphère anxiogène qui pèse sur cette planète encovidée. L’impotence des puissants est plus qu’un oxymore, c’est un vertige.
La notion même d’Etat est à remettre en cause, quelles que soient les couleurs politiques, d’ailleurs de plus en plus pâles.
A l’évidence, les Etats actuels ne sont plus « fabriqués » pour le long terme et se voient dépassés par la complexité qui s’intensifie au fur et à mesure que progressent les technologies et les connaissances scientifiques.
Seulement voilà, dès que l’Etat s’efface, ce sont les mafias qui s’installent. Les exemples ne manquent pas, notamment dans l’ancien empire stalinien. De plus, dans ce monde violent, il est impossible de se passer d’une armée, hélas, trois fois hélas.
Nous voilà coincés. D’un côté, l’Etat est incapable de résoudre les urgences climatiques. De l’autre, il reste nécessaire pour éviter la suprématie mafieuse ou se protéger contre le premier Poutine venu.
A quand les « gilets verts » ?
Point de panacée pour sortir de cette panade. Une issue peut-être : que les citoyens, à la base, trouvent de nouvelles formes d’organisation sociale grâce aux échanges tous azimuts rendus possibles par les réseaux sociaux… Une forme de mouvement « gilet jaune », ou plutôt « gilet vert » transnational, une sorte de fédération de ZAD[1] qui s’étendrait au-delà des frontières. Ces formes d’organisation pourraient faire pression concertée et constante sur les Etats ou les hypergroupes économiques. Dans les démocraties certes, mais aussi dans des régimes autoritaires puisque, malgré les répressions, ils ne peuvent plus tout à fait éviter les contestations.
Ce mouvement commence à être initié par nombre d’organisations non-gouvernementales mais il leur manque pour l’instant l’ampleur et la constance.
Définir en détails ce que pourrait être un tel mouvement serait vain car l’histoire se plaît à contrarier celles et ceux qui dressent des plans sur sa comète. S’il voit le jour, il se construira par tâtonnements successifs en prenant des formes qui surprendront tous les prophètes.
C’est avec ces nouvelles façons de « faire politique » que nous avancerons. Mais cela risque de prendre du temps. Et en matière de dérèglement climatique, cette denrée fait défaut.
Autant s’y mettre sans tarder.
Jean-Noël Cuénod
[1] ZAD : Zone à défendre. Forme d’organisation populaire de base qui s’est notamment illustrée dans le combat contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes près de Nantes en France