Les spécialistes le savent et les autres s’en doutent un peu: non, ChatGPT n’a rien d’un poète! Ainsi comparer un poème d’Aragon avec la chose débitée par cet avatar de l’ « intelligence artificielle » (IA) n’a pas grand sens. Sauf que cette petite expérience peut aussi nous démontrer en quoi la poésie résiste, mieux que la prose, à la domestication de l’IA.
Bref rappel, selon le site Julsa: Le Chat GPT fonctionne en se basant sur un modèle pré-entraîné sur de grandes quantités de données textuelles. Lorsqu’un utilisateur envoie un message, le chat GPT utilise son modèle pour générer une réponse en se basant sur les mots et les phrases précédents. Le chat GPT peut ainsi comprendre le contexte de la conversation et générer des réponses cohérentes et naturelles.
Le Plouc a donc envoyée cette requête à ChatGPT inspirée par le célèbre poème de Louis Aragon, La Rose et le Réséda :
« Rédige un poème illustrant la solidarité entre un chrétien et un athée pendant la résistance française lors de l’occupation nazie ».
Il n’y manque rien, sauf l’essentiel
A la fin de ce papier, figure la confrontation entre l’œuvre du poète et le résultat établi par ChatGPT.
Dans son texte cet outil de communication basé sur l’ « intelligence artificielle » se montre élève appliqué: tous les éléments contenus dans la requête y figurent. Il n’y manque rien. Sauf, l’essentiel, la poésie.
Mais c’est quoi la poésie? Eh bien, c’est l’inverse de ce que nous donne à lire ChatGPT!
Ainsi, il commence par ce cliché: « Dans les années sombres de la guerre ». Aragon évite de s’engluer dans cette évidence. Son lecteur sait qu’il s’agit de la guerre et que celle-ci n’est pas une sympathique promenade de campagne. Nul besoin de le lui rappeler. Il en va de même pour « la peur et la tristesse » qui sont « notre fardeau lourd à porter ». Tiens donc!
ChatCPT aime l’ordre
ChatGPT exige que chacun reste à sa place. Il établit une répartition des rôles selon la fausse logique de la pensée conformiste: « Le chrétien priait pour leur salut / l’athée se battait pour leur avenir ». A l’un, le chapelet; à l’autre, le mousquet.
Rien de tel chez Aragon: « Lequel montait à l’échelle / Et lequel guettait en bas ». Celui qui croyait au ciel ou celui qui n’y croyait pas? La réponse est superflue. Les deux se battent à âmes égales.
ChatGPT use systématiquement des termes les plus plats. Sans doute parce qu’étant les plus couramment utilisés, les algorithmes les reconnaissent aussitôt.
De même, il est incapable de filer la métaphore, de tisser une image, de surprendre son lecteur par des associations étranges ou des formules qui semblent a priori hors contexte. A la fin de La Rose et le Réséda, Aragon écrit ce vers : « Dites flûte ou violoncelle ». Pour l’ « agent conversationnel », une flûte et un violoncelle n’ont d’autres places que celles que l’une et l’autre occupent dans la fosse d’orchestre.
Le parapluie et la machine à coudre
La poésie, c’est la rencontre inopinée d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection, comme le formulait Lautréamont (grand inspirateur des surréalistes) à propos de la beauté. Elle est le fracas entre des images qui, dans la sphère prosaïque, ne sauraient être mises en présence. Un fracas qui provoque des éclairs. Et grâce à eux, c’est tout un paysage intérieur qui s’illumine.
Le rythme est indissociable de la poésie. Que le mètre du vers soit exact ou non, l’important est que le lecteur perçoive la pulsation du poème et le souffle intérieur de celui qui l’a écrit. Dans ce domaine aussi, la comparaison saute aux yeux entre La Rose et le Réséda et la version chatesque.
Nous pourrions multiplier les exemples. Aragon a des ailes. ChatGPT patauge dans la glaise. C’était couru d’avance.
ChatGPT ne miaule pas dans les buissons nocturnes
C’est pourquoi la poésie – pour l’instant – semble mieux résister que la prose à la prédation textuelle ourdie par ChatGPT et les autres avatars de l’IA. Toutefois, un roman, une oeuvre de fiction écrite en prose peuvent aussi se montrer coriaces dans la mesure où l’esprit poétique les traverse, notamment par l’emploi de métaphores surprenantes ou association d’idées d’apparence incongrue.
Ecrire un poème, c’est avoir fait l’expérience du parfum des chèvrefeuilles, de la pluie d’août sur le visage, de l’attente de l’être aimé sous un auvent, de la douleur d’être abandonné, du sang versé, des larmes refoulées.
Pour l’instant, ChatGPT est incapable de miauler son désir charnel dans les buissons nocturnes.
Un jour peut-être, l’Intelligence Artificielle pourra éprouver le désordre des sentiments. Ce jour-là, il faudra tirer la prise. Celle de l’appareil. Ou celle de notre respirateur…artificiel.
Jean-Noël Cuénod
En attendant, voici La Rose et le Réséda d’Aragon et la chose rédigée par Chat-GPT 4 (en gras, s’il faut vraiment le préciser!)
Celui qui croyait au ciel Dans les années sombres de la guerre,
Celui qui n’y croyait pas La peur et la tristesse étaient notre fardeau à porter.
Tous deux adoraient la belle Mais parmi nous, deux âmes différentes
Prisonnière des soldats Ont uni leurs forces et leurs cœurs, sans hésitation.
Lequel montait à l’échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Qu’importe comment s’appelle. L’un était chrétien, l’autre athée,
Cette clarté sur leur pas Mais ensemble, ils ont combattu pour la liberté.
Que l’un fût de la chapelle. Ils ont partagé leurs ressources, leurs sourires et leurs larmesEt l’autre s’y dérobât Ils ont risqué leur vie pour protéger ceux qu’ils aimaient.
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu’elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle Le chrétien priait pour leur salut,
Fou qui fait le délicat L’athée se battait pour leur avenir.
Fou qui songe à ses querelles Ils étaient différents, mais leur objectif était le même :Au coeur du commun combat Vivre dans un monde libre, où la paix et l’amour règnent.Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Du haut de la citadelle Ils se sont soutenus, jour après jour,
La sentinelle tira Et leur solidarité a donné de l’espoir à tous ceux qui les entouraient.
Par deux fois et l’un chancelle Ils ont montré que la foi et la raison peuvent s’unir,
L’autre tombe qui mourra Pour surmonter les obstacles et atteindre le but désiré.
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l’autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Un rebelle est un rebelle Aujourd’hui, leur exemple est toujours présent,
Nos sanglots font un seul glas Leur courage et leur détermination continuent de nous inspirer.
Et quand vient l’aube cruelle Ils nous rappellent que, malgré nos différences,
Passent de vie à trépas Nous pouvons nous unir pour créer un monde meilleur, plus beau et plus fier.
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
A la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
L’un court et l’autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle
La rose et le réséda
Dans cet exemple ChatGPT est un traducteur ignorant totalement le langage de la poésie !
Ton exemple est vraiment intéressant.