Affaire Boulin- pris la main dans le SAC

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Robert Boulin, ministre du Travail ©AFP

Un témoignage, qui vient d’être rendu public, relance l’enquête sur la mort du ministre Robert Boulin en 1979. Ce témoin – qui, au soir de sa vie, soulage sa conscience – confirme et précise le rôle tenu par le Service d’action civique (SAC), dans ce que l’on doit appeler désormais, un homicide. En tête du SAC, l’exécuteur des basses œuvres du gaullisme: feu Pierre Debizet, dit « Gros Sourcils ».C’est le quotidien Sud-Ouest  qui a relaté ce coup de théâtre ; il intervient juste au bon moment pour éviter qu’un nouveau non-lieu ne soit prononcé dans ce dossier. La procédure aura décidément connu toutes les vicissitudes que subissent ces affaires criminelles lorsque la raison d’Etat l’emporte sur la raison tout court.

L’ombre de « Gros Sourcils »

En résumé, ce témoin jouait les chauffeurs plus ou moins occasionnels pour le club libertin « Roi René », qui faisait dans la partouze haut-de-gamme à Ville d’Avray.

C’est dans cette fonction qu’il a rencontré Pierre Debizet, dit « Gros Sourcils », alors patron du Service d’Action Civique (SAC) et proche de Charles Pasqua. Un soir de novembre 1979, le témoin assiste à une conversation entre Debizet et deux autres personnages au cours de laquelle, le chef du SAC fronce ses gros sourcils et tance ses deux interlocuteurs:

« On vous avait dit de ne pas le tuer! ». Le plus âgé des exécuteurs tente d’apaiser le courroux du patron: « On l’a balancé dans l’étang à Rambouillet. C’est un accident. On l’a tabassé. Il est mort dans nos bras d’une crise cardiaque. Mais t’as vu, on a ramené des documents. »

Interrogé par France-Inter, ce témoin évoque aussi Charles Pasqua dans cet extrait de son interview à la radio:

Ça a déplu à Pierre Debizet qui leur a dit « oui mais vous l’avez tué. Le patron – c’est à dire Pasqua – avait donné l’ordre de lui filer une danse ».

Le plus anti-Chirac des gaullistes

Dans son livre Robert Boulin – Un gaulliste, député de Gironde, maire de Libourne et ministre (Editions Memoring), l’historien Bernard Lachaise rapporte les propos que Boulin a confiés au journaliste Philippe Alexandre le 15 octobre 1979:

(…) Il y a rue de Lille (siège du parti gaulliste RPR), des hommes qui ont juré d’avoir ma peau. A leur tête se trouve Charles Pasqua.

A cette époque, Pasqua a partie liée à Jacques Chirac qui avait claqué, le 25 août 1976, la porte du gouvernement qu’il dirigeait sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing.

Deux pages plus loin dans son ouvrage, le professeur Lachaise rappelle que Robert Boulin faisait partie des candidats possibles pour devenir le nouveau premier ministre du président Giscard. L’historien ajoute:

Boulin étant un des plus anti-chiraquiens dans la famille gaulliste, le choisir pour Matignon aurait été considéré par Chirac comme une provocation et un obstacle sur sa marche vers l’Elysée.

Lorsque le corps du ministre du travail – en exercice – Robert Boulin a été retrouvé dans soixante centimètres d’eau dans un étang près de Rambouillet, le témoin a vite compris la nature de la discussion qu’il avait surprise.

Il a vite compris aussi l’ardente nécessité de se taire pendant plus d’un demi-siècle « sinon j’aurais pris deux balles dans le buffet », plaide-t-il aujourd’hui.

La fausse piste du suicide

La justice avait conclu tout d’abord à un suicide. Cette thèse n’est aujourd’hui plus soutenue, notamment après un remarquable travail journalistique dont les enquêtes du reporter de France-Inter Benoît Collombat.

L’élément nouveau apporte donc une confirmation de plus sur le caractère criminel de la mort du ministre.

Et précise de façon convaincante l’implication du SAC. « Un témoignage qui paraît fiable », estime l’historien Bernard Lachaise qui avait déjà émis, l’an passé, l’hypothèse d’une rencontre « qui aurait mal tourné » dans son livre sur le ministre du Travail. Il reste tout de même une question – oh bien mineure! – à régler, pourquoi Robert Boulin a-t-il été battu à mort?

Mémoire salie

L’enquête se poursuit actuellement pour vérifier les explications du témoin et les autres indications qu’il a fournies aux enquêteurs pour identifier les deux interlocuteurs de Pierre Debizet.

La mémoire de Robert Boulin a été injustement salie pour faire accréditer la thèse de son suicide. Sa famille en a souffert pendant près d’un demi-siècle et se bat encore aujourd’hui pour qu’enfin toute la lumière soit jetée sur ce dossier.

Il faut saluer aussi les efforts des journalistes, des écrivains, comme le professeur Bernard Lachaise, qui ont rendu à la mémoire du ministre cette justice qui lui a été jusqu’à maintenant refusée.

Deux autres ministres assassinés

L’homicide de Robert Boulin n’est pas un fait isolé durant la présidence de Giscard d’Estaing et lors des débuts de la Ve République. « On meurt beaucoup et beaucoup trop mystérieusement sous la Ve République » disait en 1980, le sénateur de droite de la Charente, Pierre Marcilhacy (1).

Avant Robert Boulin, le prince Jean de Broglie – ex-secrétaire d’Etat des gouvernements Pompidou et ancien négociateur des Accords d’Evian qui ont mis fin à la guerre d’Algérie – est assassiné par un tueur à gages, la veille de Noël 1976. Qui en est le commanditaire? La question reste posée. Et le rôle de la police dans cette affaire paraît troublant.

Le dossier de Broglie est toujours classé « Secret Défense » jusqu’en…2025! En saura-t-on plus dans quelques mois?

Juste trois mois après la mort de Robert Boulin, son ami savoyard Joseph Fontanet – ministre lui aussi à maintes reprises de 1959 à 1974 – a été abattu par des inconnus, le 1er février 1980. Dans ce cas également, le crime n’a jamais été élucidé. Des rumeurs évoquent, là aussi le SAC et le Gang des Lyonnais, très actif dans la décennie 1967-1977.

Sanglante officine dans l’ombre du gaullisme

Le Service d’action civique (SAC) avait été fondé en 1958 par Jacques Foccart, qui travaillait directement pour le général de Gaulle en matière africaine. A l’origine, le SAC était chargé d’assurer le service d’ordre du parti gaulliste, notamment lors des campagnes électorales.

Au fil des ans, cette officine s’est muée en une sorte de « police parallèle » notamment après Mai-68. Elle est régulièrement accusée de nombreuses violences politiques.

Composé de membres respectables mais aussi d’une coterie interlope composée d’anciens flics, de truands plus ou moins en activité, d’espions sur le retour, le SAC sent de plus en plus mauvais.

Son existence se terminera dans le sang lors de la tuerie d’Auriol. Un policier chef de la section Bouche-du-Rhône du SAC, sa femme et son fils de 7 ans sont massacrés au domicile familial d’Auriol par d’autres membres de l’officine, dans la nuit du 18 au 19 juillet 1981. Les tueurs sont arrêtés puis condamnés. Interpellé à son tour, le patron du SAC « Gros Sourcils » Debizet, passe un mois en détention préventive; il bénéficiera par la suite d’un non-lieu. Et mourra le 11 mai 1996. Dans son lit.

Pour le SAC, Auriol sera la tuerie de trop. Sa dissolution est prononcée en 1982 par le président François Mitterrand.

Un contexte très particulier

Le contexte très particulier des années soixante et septante en France constitue une partie de la réponse à la question: « pourquoi tant d’homicides politiques ? »

L’Hexagone a changé de régime en 1958 avec l’avènement du gaullisme et de la Ve République. Changement qui s’est accompagné d’un autre bouleversement, la fin de la guerre d’Algérie, la décolonisation et le terrorisme de l’extrême-droite colonialiste sur fond de tensions entre le monde communiste et l’Occident.

Dès lors, espérer qu’entre les IVe et Ve Républiques  s’instaure une transition à la Suisse, calme, rationnelle, bien ordonnée, respectueuse du droit en toutes circonstances relèverait du coloriage de Babar dans l’Ile aux Oiseaux !

Climat idéal pour que prospèrent à l’ombre du nouveau pouvoir, flics plus ou moins en marge, anciens résistants supportant mal le retour à la vie normale, truands en quête d’accès vers les lieux décisions, affairistes et aventuriers politiques pataugeant entre deux eaux.

« La politique, c’est comme l’andouillette… »

Il s’est donc développé à cette époque, une mafia qui ne disait surtout pas son nom. Mais qui en avait les mœurs à défaut des rituels.

Nul miracle. Il n’y a pas de politique sans ombre. Aujourd’hui comme hier. Faire de la politique en gants blancs est illusoire. Sauf pour se protéger les mains.

Grande figure de la IIIe République et inamovible maire de Lyon, Edouard Herriot disait, en fin connaisseur: « La politique, c’est comme l’andouillette, ça doit sentir la merde, mais pas trop ». Et parfois, trop c’est trop!

Jean-Noël Cuénod

1 Candidat malheureux à l’élection présidentielle de 1965. Il avait fini avant-dernier.

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2 réflexions sur « Affaire Boulin- pris la main dans le SAC »

  1. Merci à Jean-Noël Cuénod pour cet excellent article où sont, une nouvelle fois, confirmées sa très fine connaissance de la politique française d’hier et d’aujourd’hui et la belle qualité de son écriture.

  2. Je me souviens de cette époque ,du “suicide” dans un étang,,,,,, mais qui mange encore de l’andouillette ? Les régime ont changé de menu, ce qui n’empêche pas les indigestions.

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