Elections législatives 2024: une Ve cou coupé

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Affiche du référendum en faveur de la Ve République. C’était il y a 64 ans (Wikipédia)

La tête coupée, la canard continue sa course chaotique. Il est mort, bien sûr. Mais son corps, ses muscles, ses nerfs ne le savent pas. Alors, il agite toujours ses pattes palmées sur le sol accidenté. Et soudain s’affaisse. Le corps a enfin compris et rejoint dans le néant son cou tranché. Cette scène ne vous dit-elle pas quelque chose?

Quelque chose qui ressemblerait à la situation de la France en état de dissolution parlementaire?

En se jugeant, on se désole. En se comparant, on se console. L’Hexagone est en train de vivre ce que d’autres pays subissent. En Allemagne, la situation n’est pas meilleure. L’Italie meloniste fait risette dans la sphère diplomatique mais rétrécit la Botte par son conservatisme borné, rétrograde et autoritaire (à lire l’excellent papier du correspondant à Rome du Monde). En Espagne, au Portugal les nostalgiques de Franco et de Salazar glapissent. En Autriche, le FPÖ d’extrême-droite triomphe.

Quant aux Etats-Unis, ils sombrent dans le ridicule avec deux vieillards – l’un, fatigué et l’autre, le pire, cinglé – qui se disputent la présidence.

Ne parlons par des dictatures, puisque le choix populaire y est impossible.

Le président dissolvant

Chaque pays démocratique a sa propre façon de vivre ses passions tristes. Celle de France est la plus spectaculaire avec cette dissolution et ces nouvelles élections législatives qui, par leur caractère précipité, empêche tout débat authentique. « C’est pour clarifier la situation », plaide le président dissolvant Emanuel Macron. Eh bien ce n’est pas gagné! L’Assemblée nationale changera de législature mais sans doute pour retrouver un semblable bazar. Il est peu vraisemblable que l’un des trois blocs – en gros le Nouveau Front Populaire, le Rassemblement National (RN) et ses petits ciottistes, le centre-droit macronien – obtiennent la majorité absolue. On se retrouverait alors dans une configuration semblable, mais en pire peut-être, que la précédente Assemblée.

Le gendre idéal au regard éteint

A en croire les sondages (mais faut-il croire en eux?), seul le RN pourrait se trouver en mesure de l’obtenir.

La France serait alors gouvernée par Jordan Bardella, 28 ans, qui a abandonné ses études pour devenir apparatchik du clan Le Pen et n’a pour expérience professionnelle qu’un job d’été dans l’entreprise de papa.

C’est dingue. Mais c’est ainsi. En d’autres temps, une telle prétention aurait déclenché l’hilarité générale. Mais aujourd’hui, cela n’interpelle pas grand-monde. De même, les idées racistes et xénophobes qu’il exprime s’installent dans toutes les sphères de la société surtout par le truchement pourri des algorithmes des réseaux sociaux. Il faut d’ailleurs reconnaître au moins cette compétence à ce gendre idéal au regard éteint: il vous fait du TikTok comme personne!

Dès lors, pour éviter ce pire, seul le vote Nouveau Front Populaire est en mesure de contrer l’extrême-droite. Car le « Bloc central » est trop associé au président Macron exécré pour pouvoir prétendre tenir un tel rôle.

Cette période chaotique n’est pas née d’hier. Elle s’est invitée à multiples reprises dès les débuts de la Ve République, de la démission du général de Gaulle le 18 avril 1969 à l’actuelle dissolution. Toutefois, jusqu’à la présidence de Nicolas Sarkozy, les institutions avaient bien tenu le coup, malgré les cohabitations Mitterrand-Chirac, Mitterrand-Balladur et Chirac-Jospin.

De l’ « hyperprésident » au « président normal…

C’est surtout lors de la présidence de Nicolas Sarkozy que les limites de la Ve République sont apparues. Sarkozy se voulait « hyperprésident » reléguant son premier ministre au rang de collaborateur. Concentrant dans ses mains tous les pouvoir ou peu s’en faut, Sarko a… concentré par conséquent toutes les colères!

François Hollande, ayant vu l’échec de l’« hyperprésidence », s’est voulu « président normal ». Or, l’actuelle Constitution française attribuant au chef de l’Etat des pouvoirs exorbitants pour une démocratie, il est rigoureusement impossible d’être un « président normal ».

En voulant normaliser une fonction qui ne peut l’être, Hollande a affaibli son pouvoir en laissant les « frondeurs » de son propre Parti socialiste entraver son action et se montrant incapable d’empêcher son ministre de l’Economie – un certain Macron Emmanuel – de saboter sa politique pour mieux se propulser à l’Elysée.

…Puis à « Jupiter »

Elu au pouvoir suprême, Macron a restauré l’hyperprésidence de Sarkozy en accentuant encore son caractère vertical. « Jupiter » était né. On connaît la suite: la crise des Gilets Jaunes qui couve encore, les réformes imposées au parlement, les colères que « Jupiter » dit entendre mais sans les écouter.

D’aucuns rétorquerons, à raison, que la présidence Macron a su gérer convenablement l’épidémie covidienne. C’est indéniable. Cela dit, d’autres pays dont les institutions ne sont pas personnalisées à outrance, comme la Suisse, ont fait aussi bien sinon mieux.

Trop de pouvoirs tue le pouvoir

Trop de pouvoirs tue le pouvoir. Le chaos s’est aujourd’hui aggravé. Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron ont échoué à en sortir. Les hommes ne sont donc pas la seule cause du trouble. Les institutions y tiennent une part prépondérante.

Le logiciel de la Ve République est en voie d’obsolescence. Il convient donc de réinitialiser la République par l’élaboration d’une VIe République qui ménagerait aux citoyens une place digne d’une démocratie réelle. Une constitution qui serait bâtie avec eux et non sans eux.

Jean-Noël Cuénod

PS: L’intitulé de ce papier est inspiré par le titre du superbe recueil d’Aimé Césaire « Soleil Cou Coupé ».

3 réflexions sur « Elections législatives 2024: une Ve cou coupé »

  1. Conclusion impérative.
    La Veme était faite par le Général, pour le Général, pas
    pour des nains (par rapport à lui, malgré tout ses défauts).
    Vivement la VIeme; mais comment ?
    (D’un autre côté c’est dommage, le théatre était amusant quand
    on n’a pas à le subir).

  2. On sent une certaine saine logique « suisse » dans ce papier. Oui, trop de pouvoir aux mains d’un seul homme, on doit trouver mieux que cet l’hyper-présidentialisme propre à la Ve République

  3. « D’aucuns rétorquerons, à raison, que la présidence Macron » n’a pas géré l’épidémie covidienne dans l’intéret de tous….. voir L’incroyable travail de Pierre Chaillot « Covid 19 :ce que révèlent les chiffres officiels » publié aux éditions de l’Artilleur.
    Pour comprendre ce que gère Macron, deux petites vidéos sur Youtube donnent des pistes : « Qui est vraient Emmanuel Macron » d’Adriano SAGATORI médecin auprès des Tribunaux italiens, mais surtout « L’inquiétant profil psychologique d’Emanuel Macron » du meme psychothérapeute.
    « L’indéniable »est ainsi nié et réfuté par une avalanche de preuves!
    Il me semble que le logiciel de la Ve République ressucite après une longue somnolence. La révision d’envergure des institutions du 23 juillet 2008, dite de modernisation, faite par le Parlement convoqué en Congrès n’a pas concerné le 49.3 ni l’article 16 qui donne sans contre pouvoir ni controle possible les pleins pouvoirs au Président.
    Le régime semi présidentiel présidentialiste francais semblable à celui de l’Ukraine et de la Russie ne semble pas obsolète puisqu’il n’a qu’une issue possible (le bout du tunnel) la Dictature.

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