Jean Castex n’est pas la fils aîné de la laïcité !

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Lors de sa visite au Vatican, le premier ministre français a offert au pape argentin le maillot de Lionel Messi, idole argentine du Paris-Saint-Germain (Photo Reuters via Huffington Post)

 

Présence envoûtante du pape François ? Vapeurs d’encens qui vous montent à la tête ? Ambiance céleste d’un pays hors-sol ? Dans son discours à l’ambassade de France au Vatican, lundi dernier, le premier ministre français Jean Castex n’a pas fait montre de cette réserve laïque à laquelle il est tenu par sa charge. Et la Vigie de la Laïcité lui a vite infligé un tacle appuyé.   

Cette vigilante Vigie stigmatise dans un communiqué sur Twitter (cliquer ici) la partie initiale du discours gouvernemental dont voici la teneur :

Le destin si particulier de la France, celui d’une nation consciente d’elle-même et de ses devoirs à l’égard du reste du monde depuis plus de quinze siècles, ne saurait se concevoir sans l’évocation de son lien millénaire, au point d’être qualifié de filial, avec l’Église catholique. (vidéo de son discours ci-dessous)

Dans son touitte, la Vigie de la Laïcité rétorque :

Le fait d’affirmer un lien « filial » entre la France et l’Église catholique n’est pas sans rappeler une marque d’adhésion à la « France, fille aînée de l’Église » opposée (notamment sur l’aspiration à la laïcité) durant tout le 19e siècle à la France « fille des Lumières et de la Déclaration des droits de l’Homme ». Et de dénoncer une récupération à des fins électorales.

Tempête dans un bénitier ? Pas tant que ça !

Tempête dans un bénitier ? La récente enquête sur l’ampleur de la pédocriminalité au sein du clergé français et les échanges à ce propos entre François et Castex tempèrent l’ampleur de cette polémique sur la laïcité. D’ailleurs, à ce propos, la Vigie de la Laïcité aurait pu relever ce fort judicieux rappel du premier ministre au pape à propos du secret de la confession : « La séparation de l’Église et de l’État ne signifie en aucun cas la séparation de l’Église et de la loi ».

Sans doute aussi la Vigie de la Laïcité ne porte-t-elle pas Jean Castex dans son cœur. Le chef du gouvernement français a supprimé en juin dernier l’Observatoire de la laïcité que présidait l’ancien ministre socialiste Jean-Louis Bianco. Or, celui-ci est membre du conseil d’administration de la Vigie (on peut atterrir ici sur son site).

Un mot lourd de significations

Cela dit, l’adjectif « filial » reste très lourd de significations. Il évoque le plus puissant des liens : celui qui unit un enfant à ses parents, en l’occurrence la France à une institution ecclésiastique. Un lien charnel. Même si le cordon ombilical a été tranché il y a tout de même 116 ans[1] !

En outre, Castex aurait pu évoquer la filiation avec le christianisme, ce qui aurait été un peu moins faux mais tout aussi inapproprié, la France et l’Europe devant autant au judaïsme, aux civilisations celte et gréco-romaine, voire à l’islam andalou. Or, le premier ministre a choisi d’user de cette « filiation » en s’adressant au chef d’une institution ecclésiastique particulière qui ne représente qu’une partie des chrétiens.

En usant de ce terme, Jean Castex fait donc des Français non-catholiques romains des êtres à part qui ne participent pas à cette filiation privilégiée, des Français pas tout à fait pur sucre, un rien bâtards même.

« Catholique et Français toujours »

Certes, la chef du gouvernement n’a certainement pas voulu dire cela en termes aussi crus. Toutefois, il exprime ce qu’au fond de nombreux Français catholiques pensent : « Catholique et Français toujours », proclame un cantique célèbre écrit vers 1870. Les juifs, les protestants, les musulmans, les athées sont Français de statut, certes, mais ils ne partagent pas ce subconscient culturel catholique fait de mille petites choses le plus souvent oubliées et qui peuvent ressurgir comme ça, sans que l’on y prenne vraiment garde.

L’Arménie, vraie « fille aînée de l’Eglise » !

La filiation entre la France et l’institution ecclésiastique romaine renvoie à une billevesée mille fois rabâchée : « La France, fille aînée de l’Eglise ».

En fait, seule l’Arménie pourrait prétendre à ce titre puisqu’elle fut le premier royaume chrétien, érigé tel en 301. Bien avant le baptême en 496 de Clovis 1er, rois des Francs, considéré comme le premier de la longue liste des monarques en France.

Cette « fille aînée » s’est montrée particulièrement rebelle à l’ordre romain. Au XIIIe siècle dans le Midi (qui sera plus tard français), avec l’« hérésie albigeoise », appelée aujourd’hui « catharisme ». Au XVIe siècle, avec la Réforme, dont le Picard Jean Calvin fut une figure majeure. Au XVIIIe siècle, avec la première séparation entre l’Eglise et l’Etat de 1795 qui a abouti en 1802 au Concordat qui mettait les communautés religieuses sous étroit contrôle consulaire puis impérial. Et enfin, la séparation de 1905, conséquence d’une opposition, longue et farouche, entre l’Eglise catholique fidèle au Trône royal et la République défenderesse de la laïcité.

C’est de tout cela dont le représentant du pouvoir est porteur en France. Le catholicisme romain représente une part essentielle de cette nation. Mais elle cohabite avec d’autres, tout aussi légitime historiquement, qui se sont souvent opposées à elle.

La France n’est fille que de son Histoire, paradoxale et tourmentée.

Jean-Noël Cuénod

[1] Loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat du 9 décembre 1905.

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