La monarchie républicaine possède au moins un avantage sur l’autre, la vraie. Pour s’en débarrasser, nul besoin de couper des têtes, elle en est dépourvue. Avec cette présidentielle 2017, voilà un pays, la France livrée à ses cratopathes. Rappelons-le, la cratopathie (cratos=pouvoir, pathos=maladie) a pour effet de vider les têtes et de remplir les grandes gueules.C’est dans le langage que la cratopathie exerce ces ravages en premier lieu. Orwell l’a dit mieux que personne : la première tâche que s’assigne le pouvoir totalitaire est de transformer la langue, de la plier à ses contraintes, de l’appauvrir pour mieux rendre idiots ses sujets, d’en extirper sa substantifique moelle poétique pour la dévitaliser, car la poésie cachant de multiples significations dans les replis de ses vers, elle doit être réduite à la platitude de l’inique sens unique.
De grands cratopathes comme Hitler, Staline et Mao ont porté à cette castration du verbe une attention toute particulière. Il est d’ailleurs très symptomatique de constater qu’en tant que poète Mao-Tsé-Toung composait des textes en style classique, alors que tyran, il déniait aux autres écrivain le droit d’en écrire.
Trump, le grand saut des sots
La cratopathie et la Nov’langue orwellienne étaient donc, jusqu’à un passé récent, réservées aux dictatures. Mais voilà que le mal atteint désormais nos démocraties. A cet égard, l’élection de Trump a constitué une « première ». Certes, la parole politique a toujours été sujette à caution. «Les promesses rendent les fous joyeux», comme l’on dit à Genève. Toutefois, Donald Trump l’a réduite à néant, en hurlant des insanités, balbutiant des injures, disant tout, n’importe quoi et son contraire, se faisant une gloire d’être imprévisible, ne connaissant de ses dossiers que les 140 caractères limitant ses tweets. Devant cette trogne qui éructe ses barbarismes incohérents, le monde est saisi de vertige.
Tous les pays d’Europe sont, peu ou prou, affectés par la cratopathie. Toutefois, sur notre continent, c’est en France que cette épidémie sévit avec le plus d’intensité. La plupart des principaux protagonistes de l’ahurissante campagne présidentielle 2017 osent vraiment tout. Et c’est à ça qu’on les reconnaît, dirait Michel Audiard.
François Fillon, la cratopathie foudroyante
L’exemple le plus consternant de cratopathie en mode foudroyant est, de toute évidence, offert par François Fillon. Il suffit de rappeler ses plus mémorables sorties : «Imagine-t-on (à propos de Sarkozy) le général de Gaulle mis en examen ?» «Si je suis mis en examen, je retirai ma candidature à la présidence». «Je suis mis en examen et je maintiens ma candidature» ; sans oublier les cascades de mensonges quotidiens tellement énormes qu’ils sont démentis le lendemain.
Avec de tels boulets, il plombe son parti dit «Les Républicains». Mais de l’intérêt de son camp, il s’en fiche comme de son premier costume Arnys. Et s’il est tout de même élu, comment compte-t-il gouverner avec toutes ses casseroles qui feront un boucan d’enfer au moindre de ses gestes ? De telles considérations glissent comme des gouttes de pluie sur sa veste forestière à 5000 euros. Le bien du pays ? Vous voulez rire ! Le cratopathe veut le pouvoir pour le pouvoir, c’est tout, c’est obsessionnel, compulsif, addictif, orgasmique. Si vous n’êtes pas cratopathes, vous ne pouvez pas comprendre.
Fillon se réclame du gaullisme. Qu’il se rappelle l’attitude de son général préféré ; lors de la campagne électorale de 1965, il a interdit à son entourage de diffuser la photo de François Mitterrand recevant la francisque des mains de Pétain. Selon les propos rapportés par Alain Peyrefitte, De Gaulle ne voulait pas porter atteinte à la fonction présidentielle au cas où Mitterrand l’occuperait un jour. C’était en 1965, donc… Autant dire, il y a un millénaire.
Hamon et Mélenchon, la cratopathie sourde et aveugle
La cratopathie a traversé le fleuve de salive électorale pour atteindre la rive gauche. Hamon et Mélenchon disposent à peu près du même volume d’électeurs (de 10 à 15%). Cette division rend impossible la présence de la gauche au second tour et possible la victoire de Marine Le Pen. Devant deux périls de cette ampleur, des responsables politiques normaux, se diraient : «On ne peut pas se piffer. Mais on ravale nos rancœurs et on fait cause commune pour faire front contre le Front et obtenir une chance de figurer au second tour». Mais voilà, la gauche, comme la droite, n’a plus comme dirigeants que des irresponsables politiques anormaux, habités par la cratopathie. La cause du peuple ? Cause toujours, tu m’intéresses ! Enfin, non tu ne m’intéresses plus…
Marine Le Pen, la cratopathie gonflée
Marine Le Pen, elle, a la cratopathie gonflée. Elle donne des leçons de morale à tout l’univers, alors que son Front vachement national siphonne les fonds européens à un point tel que la justice en a été alertée. Le FN est devenu, rappelle «Le Canard Enchaîné», le parti le plus poursuivi de France. En comparaison, Fillon fait petit casserolier. Le vieux Le Pen fustigeait la «Ripoublique». Le Front l’a conquise, cette «Ripoublique», avant même d’arriver au pouvoir. Très fort. Et pour l’instant, ces poursuites judiciaires n’entament guère le crédit de Marine Le Pen. Pour l’instant…
Emmanuel Macron, la cratopathie effervescente
Emmanuel Macron a la cratopathie juvénile et effervescente. Plus subtile aussi que celle qui accable les autres. Cela dit, le pouvoir, Macron ne pense qu’à ça, quitte à planter tous les couteaux du monde dans tous les dos qui passent à sa portée. Mais en gardant toujours le sourire. François Hollande peut en témoigner. Le futur ex-président n’en est toujours pas revenu.
Il a le crime politique élégant, ce jeune homme. Et il ratisse large. Dans un marais, il se fait grenouille. Dans un nid, il gazouille. En banlieue, le voilà lascar de luxe. Devant la flamme du Soldat Inconnu, il y va de son étincelle. Jaurès lui arrache des larmes de bonheur et Barrès inspire ses collines. Vous êtes un patron, il annonce la diminution de l’impôt sur les sociétés (de 33,3% à 25%). Vous êtes un rurbain ? Il vous promet aussitôt d’exonérer de la taxe d’habitation 80% des familles. Vous êtes un libéral ? Il réduira de 15 milliards d’euros les dépenses liées à l’assurance-maladie. Vous êtes une infirmière qui bondit d’effroi en apprenant un tel projet ? Smiling Macron vous rassure aussitôt en frisant son regard céleste : le secteur hospitalier ne sera pas concerné. Vous l’attendez là ? Il est ici. Vous l’attendez ici ? Il est ailleurs. A gauche, à droite, au centre, au zénith, au nadir. Aucune particule d’espace ne lui échappe.
Et comment fera-t-il, lui aussi, pour gouverner sans majorité claire et avec autant de supporteurs contradictoires ? De tous les cratopathes, Emmanuel Macron est le moins caricatural mais le plus retors, le plus ficelle. Le pouvoir pour le pouvoir toujours et encore. On verra après.
Pour l’instant, son sourire s’installe partout comme les moustaches de Plekszy-Gladz dans l’album de Tintin «L’Affaire Tournesol». Un sourire qui, par cette omniprésence en devient aussi inquiétant que celui de Joker dans le film «Batman».
Jean-Noël Cuénod
Bel et fort article!
Beau néologisme: à répandre (hélas!).
Et puis le mot « Poésie » cette fois convoqué à sa mesure: les journalistes (et compagnie en politique) n’en font que du chewing-gum de mots.
Mais dis donc, JNC, ne t’aurais-je pas reconnu malgré ta cagoule littéraire?
Fraternellement,
Roland.