Dessin de Pierre Dubois illustrant l’un des ultimes articles du soussigné dans La Cité (avril 2016)
«La question de l’autorité de l’Etat est placée au cœur de l’élection présidentielle de 2017». Telle est la conclusion du politologue Luc Roubaud, chercheur au CEVIPOF (Science-Po à Paris) qui vient de publier une étude sur les tendances qui se dessinent pour ce grand rendez-vous politique.
Son analyse révèle, entre autres, la persistance du clivage gauche-droite que l’on croyait dépassé par le social-libéralisme. En effet, si les deux grands camps politiques veulent plus d’Etat, ce n’est pas du tout pour les mêmes raisons. En groupant certaines questions posées aux électeurs des principaux partis, l’analyse de Sciences-Po-Paris détermine quatre types d’indices : régalien (souveraineté), sécuritaire, identitaire et «libéralisme économique».
Sans surprise, les sympathisants du Front national sont les champions des trois premiers indices. Mais leurs résultats ne sont pas outrageusement différents de ceux obtenus par les électeurs des partis de la droite, LR (ex-UMP), et du centre, UDI. Dès lors, le centre-droit et l’extrême-droite se battront sans relâche pour devenir la meilleure incarnation de l’autorité de l’Etat. Sur ce terrain, se jouera l’hégémonie au sein de la droite. Ainsi, l’un des principaux «candidats à la candidature» présidentielle, Alain Juppé, a-t-il publié un livre au titre révélateur, Pour un Etat fort, qui tranche avec son ton habituellement très modéré.
A gauche, si on réclame de l’Etat, c’est surtout par crainte du libéralisme. En effet, les électeurs de l’extrême-gauche, des Verts et même des socialistes font montre d’un indice «libéralisme économique» particulièrement faible. Cela démontre, notamment, que le président François Hollande, de par sa politique social-libérale (plus libérale d’ailleurs que sociale), ne dispose que d’un très modeste soutien auprès de ses propres électeurs.
Avantage Marine Le Pen
Dans cette situation, Marine Le Pen paraît la mieux placée. En matière de souveraineté, de revendication identitaire et de sécurité, son Front national est de tous les partis de droite, le mieux profilé. Mais la patronne frontiste peut aussi chasser sur les terres de la gauche grâce à son discours nettement antilibéral.
En revanche, Nicolas Sarkozy est le moins bien loti, coincé qu’il est entre la droite modérée et libérale représentée par Alain Juppé et l’extrême-droite dont il a épousé le discours. Il lui sera difficile de mordre sur l’électorat libéral et modéré, car cet espace est suroccupé par Juppé et deux autres concurrents internes, François Fillon et Bruno Le Maire. Sarkozy semble donc condamné à surenchérir dans ses discours régaliens, identitaires et sécuritaires afin de démontrer que lui seul incarne l’autorité de l’Etat. Mais en tentant de capter les voix de la droite dure, il risque de perdre celle des modérés et des centristes. Son rôle d’ancien président constitue à la fois un atout et une faiblesse. Un atout, car face à Marine Le Pen qui n’a jamais eu d’expérience dans un exécutif, il peut exciper d’une longue carrière dans les sphères dirigeantes, ce qui ne manquera pas de rassurer les électeurs âgés et de droite. Une faiblesse, car son bilan comme président de la République est tout sauf reluisant.
A gauche, c’est pire. En imposant à son électorat, sans le lui avoir expliqué, un spectaculaire virage à droite, tant sur le plan économique que sécuritaire, le président Hollande a complètement démoralisé son propre parti, sans pour autant lui rapporter de voix à droite. Son premier ministre Manuel Valls se veut le héraut de l’autorité de l’Etat. Mais pour l’instant, il ne dispose pas d’une assiette électorale digne de ce nom.
La France est le seul pays occidental a connaître une telle centralité de l’Etat. La faiblesse de ce type de gouvernement tient dans ses hommes…forts ! Pour que le régime fonctionne, son exécutif doit être incarné par une figure charismatique et autoritaire. Or, à notre époque, les Bonaparte se font de plus en plus rares.
Jean-Noël Cuénod