Le président «reconnaît, au nom de la République française, que Maurice Audin a été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile». Crimes commis par quelques-uns mais rendus possibles, selon Emmanuel Macron, «par un système légalement institué». D’autres horreurs ensanglantent la mémoire de la France et de l’Algérie. La vérité est un cap lointain.Le 11 juin 1957, Maurice Audin est arrêté à son domicile d’Alger par des militaires français qui disposent de tous les pouvoirs depuis l’instauration de la loi martiale le 8 juin de la même année. Le général Massu est le vrai patron de la ville encore française.
La jeune épouse de Maurice, Josette, ne reverra plus son mari. Le corps du jeune homme n’a jamais été retrouvé. Son décès est déclaré par les tribunaux algérois et de la Seine en 1963 et 1966. Membre du Parti communiste algérien alors interdit, Maurice Audin est, à 25 ans, un mathématicien déjà reconnu et qui s’apprête à défendre sa thèse de doctorat. Il fait partie de la minorité de «Pieds Noirs» qui soutient les Algériens du Front de Libération Nationale dans la guerre d’indépendance. Sous la responsabilité du général Massu, la bataille d’Alger fait rage depuis six mois. La torture et les assassinats plus ou moins ciblés répondent aux attentats à la bombe perpétrés par les combattants du FLN. Comme communiste, Français proche des indépendantistes, Maurice Audin ne tarde pas à attirer l’attention des officiers.
Pendant des décennies, l’armée et les autorités politiques alignèrent les mensonges quant à la disparition du jeune mathématicien. Diverses théories ont circulé jusqu’au 8 janvier 2014 où le journaliste Jean-Charles Deniau – auteur de « La vérité sur la mort de Maurice Audin » (Editions Equateurs-Documents) – diffuse dans l’émission télévisée «Grand Soir 3» son interview du général Paul Aussaresses qu’il a enregistrée juste avant la mort de l’ancien bras droit de Massu, décès intervenu le 3 décembre 2013. Aussaresses s’y accuse d’avoir donné l’ordre de tuer Maurice Audin, au couteau, pour faire croire que l’assassinat était le fait «des Arabes» (voir et écouter l’extrait du « Grand Soir 3 » en fin de texte).
C’est à ce jour l’explication la plus plausible de la mort du jeune communiste. La femme du général Aussaresses avait convaincu celui-ci de se libérer de son passé avant de mourir, en acceptant de dire tout ce qu’il savait à Jean-Charles Deniau. Compte tenu de ces circonstances, la sincérité des propos de l’officier paraît fort probable. Néanmoins, n’a-t-il pas évacué la responsabilité du général Massu, son patron direct, et celle de ses subordonnés qui auraient pu se soustraire à leur destin de tueurs tortionnaires comme le fit le général Pâris de Bollardière ? D’ailleurs au journal Le Monde, la veuve de Maurice Audin a souligné que son combat mémoriel est loin d’être terminé : «Comment mon mari a-t-il été tué ? Quels sont les noms de ses tortionnaires ? Qu’a-t-on fait de son corps ? Nous ne le savons toujours pas. Il faudrait que des gens parlent enfin». Aussaresses a dit beaucoup mais pas tout.
Maintenant, la vérité semble un peu plus à portée de main; Emmanuel Macron a annoncé l’ouverture à la libre consultation de tous les fonds d’archives de l’Etat concernant «tous les disparus de la guerre d’Algérie, Français et Algériens, civils et militaires».
Après Audin… Et la mémoire algérienne ?
Petit à petit, la France lève les coins du voile qui recouvrait les abominations commises en son nom par une armée qu’un pouvoir politique volontairement aveugle avait laissé à elle-même. Longtemps occultés, les massacres de masse à Sétif et à Guelma en 1945 et la répression sanglante par le préfet de police Papon de la manif pro-algérienne du 17 octobre 1961 à Paris ont été, non sans peine, mis au jour.
Mais il reste tant d’autres événements à découvrir qui ont rendu cette guerre d’Algérie encore plus sale que d’autres. Tortures et assassinats perpétrés en Algérie et France métropolitaine, mais aussi à l’étranger, à Genève et en Allemagne, n’ont finalement pas empêché la France d’abandonner l’Algérie dans les pires conditions. Tant de sang pour un tel fiasco.
Tout de même, la France est en train de faire son boulot de mémoire. C’est encore loin d’être le cas en Algérie.
Car les horreurs ne sont pas le seul fait des Français. Les combattants du FLN n’en furent pas avares. Le fait d’être du bon côté, celui du colonisé contre le colonisateur, ne saurait tout excuser. En premier lieu, l’Algérie ferait bien de se pencher sur les assassinats commis par le FLN contre ses «frères» du MNA (Mouvement National Algérien) entre 1956 et 1962, sur le massacre que son bras armé a perpétré le 5 juillet 1962 contre environ 700 Européens désarmés, sans oublier les attentats aveugles ou les assassinats ciblés, notamment contre des Juifs pour les obliger à quitter leur terre ancestrale.
Si les non-dits de la guerre ont longtemps miné la France, ceux du FLN continuent à pourrir l’Algérie. «Un pays qui oublie son passé est condamné à la revivre», disait Churchill. Les années de plomb que l’Algérie a connues durant la décennie 1990 ainsi que la persistance du djihadisme illustrent de façon éclatante la véracité de cette formule.
Jean-Noël Cuénod
Bouleversant témoignage de Deniau/Aussaresses !
Je me souviens de tout cela à partir d’avril 61 et la tentative de putsch qui a marqué mon entrée dans l’action politique: adhésion aux Jeunesses communistes de mon lycée (Jacques Decour) en septembre 61, puis élu secrétaire du cercle, puis Charonne en février 62. Cette affaire me terrifiait, comme celle d’Henri Alleg, qu’il rapportait dans sa terrible Question, interdite de publication mais que nous lisons, bien sûr…